
Voici un témoignage unique, exceptionnel, profondément touchant de notre concitoyen Marcel Kretz. À le lire, nous mesurons la chance que nous avons de vivre aujourd’hui dans un pays en paix.
Marcel Kretz
Dans notre famille, pendant la guerre et peut-être avant déjà, cela se passait à peu près comme ceci. D’abord, personne ne sortait le soir du 24 et chaque famille fêtait son Noël à sa façon.
J’attendais avec ma mère en cuisine, porte fermée. Mon père était dans le couloir qui menait à la porte d’entrée. Il faisait sonner une petite clochette et faisait semblant de parler à quelqu’un qui devait être le « Christkindle », c’est-à-dire l’Enfant-Jésus.
Puis il rentrait dans la salle à manger, où il y avait un vrai sapin avec boules et bougies de cire qu’on allumait avec beaucoup de précautions une par une. Et il nous appelait pour le rejoindre.

Les meubles de la salle à manger étaient tassés dans un coin et sur le tapis était installé mon système de trains (à clef) avec rails, bien sûr, gare, wagons, passage à niveau, etc. Et sous le sapin, je trouvais quelques ajouts pour le train et quelquefois des oranges… Je ne me souviens pas s’il y avait d’autres cadeaux échangés. Noël n’était pas toujours une journée de réjouissances, surtout pendant la guerre, où la violence, la mort planaient sur tout.
Après le jour de l’An, mon réseau ferroviaire était rangé dans des boîtes jusqu’au Noël suivant.
En 1942-43, nous avons été souvent dérangés par le survol des bombardiers alliés qui allaient larguer leurs bombes sur les villes allemandes juste de l’autre côté du Rhin. Pas de répit pour la mort. La lueur des villes en feu se reflétait sur les nuages et était bien visible de chez nous. Souvent. Quelques-uns des avions blessés volaient très bas.
Le repas de Noël, c’était le lendemain, 25 décembre, à midi. Je ne suis pas certain s’il y avait de la parenté qui venait nous rejoindre. Le menu ne variait pas, c’était toujours de l’oie rôtie, farcie d’un mélange de marrons, de pain trempé, de foies et d’oignons, accompagnée de chou rouge braisé. Ma mère réussissait ce plat à merveille. Il y avait aussi quelques petites salades. Nous avions commencé par un bouillon aux quenelles à la moelle en entrée. Et nous terminions avec un flan ou crème caramel accompagnés des petits biscuits de Noël. Le vin d’Alsace était à l’honneur.
Tout cela nous donnait un peu de chaleur, un peu d’espoir. On oubliait pour un moment les nuits qu’on passait dans la cave où mon père avait installé un grand lit où, tout habillés, on pouvait se reposer pendant les alertes. Le va-et-vient des avions alliés ne connaissait pas de pause pour Noël, et le bruit des batteries antiaériennes positionnées à 300-400 mètres de chez nous qui se mettaient en action à chaque survol des avions alliés était infernal.
Et plus tard, dans l’hôtellerie, ces journées de fêtes étaient synonymes de longues journées de travail. Il me restait très peu de temps pour célébrer en famille.
Heureusement, Nicole et les enfants se retrouvaient chez les grands-parents, avec oncles, tantes, cousins, cousines. Ma belle-mère, Fleur-Ange, me réservait toujours deux de ses merveilleuses tourtières puisque je ne pouvais pas être présent pour les réunions des Fêtes avec la famille.
Depuis ma retraite, j’ai pu bien sûr me rattraper un peu et profiter de ce temps précieux avec ceux que j’aime.
Mes pensées seront cette année pour le peuple ukrainien, qui souffre des affres d’une guerre impitoyable et sans merci.
J’aimerais aussi souhaiter mes meilleurs vœux à toute l’équipe du journal Ski-se-Dit qui me permet de m’exprimer sur les petits et grands évènements de ma vie et de partager avec les lecteurs les émotions de ces épisodes.
Bon Noël à tous et soyez heureux.
