Maison Actualité Éditorial : Aide mémoire

Éditorial : Aide mémoire

Michel-Pierre Sarrazin

Éditeur

 

Eh, oui. Ça fait cinquante ans. Tous ceux et celles qui n’ont pas atteint l’âge de raison pensent que cinquante ans, c’est beaucoup trop, trop loin ou trop vieux. Et tous ceux et celles qui l’ont dépassé trouvent que ça va trop vite, et de plus en plus vite.

Oui, la vie passe vite, même dans les petits villages qui ne sont pas signalés (ou rarement) dans l’actualité. Dans ce monde qui rapetisse de plus en plus, avec ou sans projet de décroissance, les êtres vivants sont comme les nuages qui fuient, emportés par le vent de l’histoire. Il arrive même que ce vent devienne une tempête, comme en Ukraine. Alors la vie passe vraiment trop vite.

Mais chacun, en tout temps et partout, comme l’annonçait Richard Buckminster Fuller[1] avec ses idées sur la biosphère du vaisseau spatial Terre, vingt ans avant que l’ordinateur ne devienne notre deuxième néocortex, chacun a pourtant droit à son histoire, qui et où qu’il soit.

Mais il faut parfois qu’elle soit tragique pour qu’on en parle aux nouvelles nationales, ou exceptionnelle d’une manière ou d’une autre. Pourtant, il y a des nouvelles toutes simples qui embellissent la vie de tous les jours, la vie de tous les gens qui nous entourent, comme une naissance, un succès, un projet artistique ou d’aventure en plein air. C’est dans ce matériau-là qu’on sculpte les plus beaux souvenirs.

Au journal Ski-se-Dit, dont le nom même rappelle chaque mois que le ski est au cœur même de notre existence depuis des générations, on parle souvent des gens qui n’ont pas d’histoire (jusqu’à ce qu’on en parle). Alors, ils deviennent des « sujets d’actualité », même si ce qu’on raconte n’est pas forcément spectaculaire. Car la vie n’est pas un spectacle d’Hollywood mais quelque chose de moins éphémère, de plus passionnant pour qui est vivant parmi les vivants. Et en parler, de l’ordinaire, ça fait souvent du bien.

En somme, nous faisons un journal mensuel qui parle depuis cinquante ans du quotidien des gens dont ni Patrice Roy, ni Pierre Bruno, ni Sophie Thibault, ni Paul Arcan, ni André Arthur, ni Franco Nuovo, ni Paméla Beaudry, ou Danny Berger ne parlent, sinon rarement ou pas du tout. Nos héros sont des résidents des Laurentides, pour la plupart, qui vont souvent conduire leurs minots à l’école, qui partent parfois en voyage, mais qui reviennent toujours dans notre cour jouer les voisins, les compagnons, les amis, les plombiers, les pompiers, les comptables, les emballeurs, les menuisiers, les musiciens, les commerçants. Sans parler des télétravailleurs qui sont de plus en plus nombreux à préférer taper sur leur clavier devant un paysage de conte de fées plutôt que devant un mur avec une photo de la tour Eiffel.

Bref, depuis un demi-siècle, nous parlons de ceux pour qui la vie passe vite à la gagner, à la tenir attachée à la communauté qu’ils aiment, et pour qui les chicanes ne sont pas les passages les plus agréables de leur route terrestre. Ces gens-là, comme vous et moi, sont un peu comme le chanteur ordinaire de Charlebois : ce sont des résidents ordinaires qui reconnaissent que la liberté est quelque chose de sauvage et de rare comme la beauté des paysages que nous habitons. Qui préfèrent la tendresse que les enfants méritent sans exception, en tout temps et toujours, qui savent que la courtoisie est un peu de soleil dans nos gestes, que les projets partagés par les jeunes, les moins jeunes et les vieux sont les plus solides, les plus viables, les plus riches, car ils sont comme le bon vin, un assemblage d’énergie, de savoir-faire et de sagesse.

Depuis cinquante ans, nous sommes un gros paquet de bénévoles et de petits travailleurs qui aiment les gens et les mots pour le dire, une équipe de Valdavidois, de Valmorinois, d’Agathois et même au-delà, qui consacrent beaucoup de temps à vous dire qui vous êtes, quand les grands médias voguent en haute altitude, emportés par les turbulences majeures de la grande illusion. Lire entre nos lignes est une manière de feuilleter votre encyclopédie personnelle. Et vous pouvez le faire à mesure qu’il paraît, à votre guise, à rebours ou en rafale en tapant www.ski-se-dit.info sur vos écrans, sous l’onglet « Archives PDF ».

On a cinquante ans, et toutes nos dents. Toujours prêts à mordre dans une bonne histoire sans gloire ni trompettes, mais qui vous fera sourire en douce, nous l’espérons, car le rire est le propre du genre humain (Rabelais dixit).

 

Joyeux anniversaire, lectrices et lecteurs du Ski-se-Dit.

 

 

 

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[1] Richard Buckminster Fuller (12 juillet 1895 – 1er juillet 1983) : architecte américainthéoricien des systèmes, écrivain, designerinventeurphilosophe et futuriste. Il a publié plus de 30 livres, inventé ou popularisé des termes tels que « Spaceship Earth », « dymaxion »,  «éphémérisation », « synergie » et « tenségrité ».