Maison Actualité Coup de plume – L’avarcidate de Dalma

Coup de plume – L’avarcidate de Dalma

Judith Lavoie

Résidente de Val-David et professeure de traduction à l’Université de Montréal

 

 

J’ai dîné chez mon père l’autre jour. On placotait, c’était tranquille, ambiance reposante dans son appartement lumineux.

Il me racontait des souvenirs de sa jeunesse vécue à Saint-Donat, des vues qu’il allait voir au théâtre de son oncle Fernand, de ses soirées comme waiter au Manoir des Laurentides.

Oncle Dalma

Peut-être parce qu’il était plongé dans le passé, il s’est souvenu d’un mot bien spécial qu’utilisait son oncle Dalma pour nommer une mésaventure ou un accident : avarcidate. Je n’avais jamais entendu ce mot avant. J’ai sûrement rencontré Dalma à quelques occasions, mais je ne me souviens pas des mots qu’il employait.

Je le trouve bien imagé, cet avarcidate. J’ai l’impression d’y entendre un croisement entre avarie et accident… avaccident… avariccident… avarcidate! À moins qu’il ne s’agisse d’une modification du mot avertissement… avartissement… avarcidate! Le fruit de mon imagination sans doute.

De retour chez moi, j’ai quand même cherché le mot dans le dictionnaire (Antidote et Usito, deux dicos québécois, la démarche me paraissait logique), mais il n’y était pas. Me suis tournée vers des sources plus anciennes, comme le Dictionnaire général de la langue française au Canada de Louis-Alexandre Bélisle (paru en 1957) et le Dictionnaire de nos fautes contre la langue française de Raoul Rinfret (publié en 1896) : toujours rien. Mononcle Dalma aurait dit qu’il m’était arrivé des avarcidates!

Me suis lancée sur Google, pourquoi pas. Surprise! Dans un excellent article du Journal Altitude (de Saint-Donat, comme vous le savez certainement), Françoise Nadon évoquait les mots de sa mère :

 

Plus jeune, on disait que ces mots ne devraient plus être utilisés, qu’ils sont laids et démontrent un manque de culture. Des mots que l’on n’utilise plus ou que l’on a oubliés. À l’école primaire, ici à Saint-Donat, les religieuses nous remettaient des jetons; nous en perdions un chaque fois que nous n’avions pas « le bon parler français ». Le vendredi, ceux qui avaient conservé le plus de jetons étaient récompensés. Ce sont des mots avec une couleur et une sonorité bien de chez nous. Des mots attachés à des images qui me replongent 50 ans en arrière. Ils me reviennent avec un attrait, une beauté particulière qui me fait chaud au cœur. Voici quelques-uns de ces mots oubliés qui ont accompagné mon enfance et peut-être aussi la vôtre! Varnailler, écrapouti, racotillé, swincer, graquia, renfrogné, bâdrer, picochine, vartagne, mâflé, écourtiché, margoulette, écalvatré, grafignure, sur une ripousse, dérinché, défuntisé, avarcidate, sappé… et j’en passe! Ce n’est qu’un petit salut à ma mère qui vous aura fait sourire, j’espère (12 novembre 2020, vol. 48, no 10, p. 2).

 

Après avoir lu l’article de Françoise Nadon, j’ai appelé mon père. Je devais absolument lui raconter ça. Il a été tout aussi surpris que moi par cette agréable découverte. Je lui ai dit que je voulais faire une chronique là-dessus. Il m’a répondu que c’était une bonne idée, que les gens de Val-David allaient sûrement connaître certains mots de la liste. Ça m’a encouragée, alors je me suis installée à mon clavier…