Maison Actualité La Sapinière : Le monde à l’envers

La Sapinière : Le monde à l’envers

Photo : www.oraspavaldavid.com

par Michel-Pierre Sarrazin

À franchement parler :

À la lecture des mémoires récemment déposés à la Municipalité de Val-David concernant le développement des terrains de La Sapinière appartenant à Mme Diane Beaudry, on se rend compte que ce qui s’oppose dans ce débat, ce sont essentiellement deux cultures qui cheminent parallèlement. Le phénomène se développe depuis quelque temps déjà dans notre microsociété valdavidoise : dans le coin gauche, la culture sociétale, et dans le coin droit, la culture d’entreprise. Dans le cas particulier de La Sapinière, on voit s’affronter et tourner en rond, comme des coqs de combat dans une arène publique, d’un côté les groupes sociaux qui considèrent que « le droit collectif » prime le droit individuel. De l’autre, « la libre entreprise » de Mme Beaudry, qui considère que l’espace privé d’une propriété est un droit inaliénable. Grand écart culturel.

Car d’un côté, dans le cas du développement de ce site, la plupart des intervenants qui ont envoyé un mémoire semblent peu intéressés aux mécanismes de financement des projets proposés. L’argent viendra tout naturellement, semble-t-il, comme une manne issue de l’État, par la magie des pressions politiques, du lobbying, des programmes d’apaisement citoyens créés en si grand nombre par nos gouvernements fédéraux et provinciaux depuis des décennies. Et finalement, pour les plus avertis, par le rôle de taxation sur lequel personne ne semble se pencher pour l’instant et qui aura indubitablement un effet boomerang.

Carte du Programme particulier d’urbanisme (PPU) pour le secteur La Sapinière.
http://www.valdavid.com/ppu-sapiniere/

De l’autre, c’est tout le contraire. Madame Beaudry est une entrepreneure qui sait compter, qui ne se fait pas d’illusions sur la valeur de ses biens et sur la nécessité d’assurer le financement de son projet, avant toute chose. Tout récemment, on lui a proposé 286 000 $ pour une partie du terrain qui vaut des millions*.

 

Alors? Qu’est-ce qui cloche? La question ne peut pas être plus claire : à qui appartient le territoire de La Sapinière? Réponse : à Madame Beaudry. Alors, pourquoi sommes-nous en train de faire comme si ce territoire appartenait à tout le monde? Sommes-nous toujours dans une société de droit ou dans un remake des Libres enfants de Summerhill? Où voyons-nous le droit de propriété être respecté dans ce débat? Où voyons-nous apparaître les acquis culturels et sociaux de Val-David, absents dans les discussions du nouveau projet tentaculaire de créer un nouveau village, parallèle au noyau villageois actuel, pour « protéger celui-ci » (contre quoi?)?

Nulle part dans ces mémoires ne voit-on entrer en ligne de compte la véritable identité de notre village : son centre des affaires (rue de l’Église), son marché public (au cœur du village depuis 20 ans), ses hauts-lieux culturels et de plein air, vocation première de ce village depuis près d’un siècle (la salle communautaire de l’église, le couvent, le parc linéaire, la bibliothèque, les écoles existantes, les 1001 Pots, la Butte à Mathieu, les Jardins du Précambrien, les restos, les boutiques, les centres de ski et de plein air de Belle Neige, de Vallée Bleue, le Parc régional lui-même, évoqué mais en arrière-plan) : comme si, avec ce beau grand terrain privé qu’on s’approprie par décret, on pouvait effacer d’un coup de baguette magique notre histoire et en raconter une nouvelle, sur le bord d’une mare à canards, saupoudrée de fantasmes paradisiaques et totalement irréalistes.

Personne n’est contre l’idée d’offrir une école à nos petits enfants, un parc et « une plage » aux familles (sic), un centre culturel nouveau genre et tout un paquet de services à une population toujours en attente de nouveaux jouets. C’est l’ambition d’une frange de la population, en fait, qui a tendance à considérer comme un droit les privilèges qu’une société trop riche lui octroie, avec inévitablement une pensée électoraliste à l’échéance ou, plus inquiétant encore, dans une parfaite indifférente à autre chose qu’à son confort et à ses idées reçues. On a beau dire : se cacher derrière les conventions et les structures administratives n’a jamais fait le progrès.

Personne, officiellement, n’est contre l’entrepreneurship d’une battante qui est prête à investir des millions pour réaliser son rêve sur un terrain qui lui appartient. Et créer par le fait même, comme son prédécesseur, un flux économique aux retombées locales importantes. C’est ainsi, depuis l’avènement de la révolution industrielle, que l’Amérique et le monde se sont construit.

Alors, ce qui est dérangeant, dans ce cafouillage culturel, c’est que l’opinion des uns tient l’argent des autres en respect. Mais sans faire preuve de cynisme, on est bien obligé de se rendre compte que ce qui mène encore et toujours le monde est aussi l’argent, et que la réalisation d’un rêve collectif exigera, tôt ou tard, qu’on sorte la calculette.

Or, Madame Beaudry, avec son projet sur ses terrains de La Sapinière, avait résolu cette équation. Elle avait trouvé le financement pour réaliser son projet. Jusqu’à ce qu’en janvier 2020, le Conseil municipal de Val-David décide, par quelque nébuleux cheminement, que les terrains de La Sapinière lui appartiendraient. Coûte que coûte. Et pour coûter, ils vont coûter un bras, et tous ceux qui pensent le contraire rêvent en couleur.

 

Derrière ce débat, il y a de nombreux motifs des plus louables : obtenir une école, offrir aux citoyens de notre village des installations publiques comme en ont rêvé les conseils municipaux successifs à Val-David depuis soixante-dix ans, en voyant comment La Sapinière a été un succès remarquable. Un succès privé, ne l’oublions pas, où les risques et les bénéfices étaient le fait d’une famille et d’un entrepreneur hors du commun, et dont les activités ont profité à des centaines de familles du cru.

Si le territoire de La Sapinière doit devenir un espace public, il y aura donc un prix à payer. Un prix que devront assumer les nouveaux propriétaires, autrement dit les citoyens qui se payent ce privilège avec leurs taxes. Et quand notre mairesse évoque ces temps-ci l’« embourgeoisement » de Val-David, c’est précisément de ça qu’il s’agit. En d’autres termes, faisons une croix sur notre histoire faite de simples artisans, de petits commerçants et d’amateurs de plein air et sautons à pieds joints dans « notre propriété collective » pour VIP seulement.

Dans une culture sociétale où l’État est une créature distante, abstraite et arbitrée par une foultitude de fonctionnaires qui ne voient jamais leur gagne-pain remis en cause par leurs décisions; dans une société éduquée, ce qui ne veut pas dire instruite, mais qui prétend observer des règles et des lois chantournées et qui sont le plus souvent hors de portée du commun des mortels, la confection des projets de société, passée au moulin des brassages d’idées et des référendums ad nauseam, a toujours pour assise la certitude que ce qui compte, c’est le bien-être collectif, avant toute chose.

Cette manière de voir le monde est à la source du principal malentendu dans le débat autour de La Sapinière. Car le bien collectif n’est pas un droit, mais la recherche constante du meilleur des compromis avec les réalités du monde. Et la réalité, ici, est que le collectif tente de priver de son droit une personne qui a le droit pour elle. Et c’est manquer du minimum de réalisme nécessaire au bien commun que de faire du « développement social » sans en mesurer, à court et à moyen terme, le coût pour les individus qui sont concernés par ce développement. Il n’est pas trop tard, dans le projet de La Sapinière, pour revenir au gros bon sens. Mais il est minuit moins une.

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* Note : À la suite de la publication de cet article, la Municipalité de Val-David a réagi en confirmant qu’elle n’avait pas offert à ce jour de montant précis à Madame Beaudry et renvoie toute personne désirant en savoir plus au procès-verbal de la séance ordinaire du conseil municipal tenue le 9 février 2021.