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Cuisine d’une grand-mère russe

Louise Duhamel

Résidente de Val-David et chroniqueuse gourmande

 

Valentina est une grand-mère russe, celle de mes neveux. La jeune Valentina s’est enfuie de son pays natal vers la Pologne, puis vers la France, pour finalement se réfugier en Belgique, où elle s’est mariée. Plus tard, elle et son mari ont immigré au Canada.

Une grande partie de son histoire est triste et, en vieillissant, Valentina est devenue mélancolique. Avec le temps, les conversations ont porté davantage sur les douloureux souvenirs de son passé, et ses trous de mémoire lui permettaient rarement de se rappeler les bons moments. Valentina aura vécu de nostalgie pratiquement toute sa vie, finalement : sa jeunesse perdue dans une Russie d’où il fallait sortir de sa misère, son adolescence difficile à Varsovie en temps de guerre où la peur et la faim se vivaient au quotidien, ses années complexes de jeune immigrante, à Lille, qui devait se familiariser avec une nouvelle culture, puis sa maison à Bruxelles, où elle s’est enfin sentie presque chez elle…

Son plus grand bonheur aura été d’avoir eu un fils qui lui a donné trois petits-fils. Pour eux, elle a perpétué certaines traditions culinaires de sa Russie natale. Son histoire ne sera pas oubliée : autant les souvenirs tragiques que les meilleurs moments… Valentina a réussi à demeurer présente parmi nous, car, malgré qu’elle nous ait quittés, quelques plats traditionnels russes sont toujours au menu de nos repas de famille.

Mes neveux s’assurent qu’on mange encore des pirojkis et des blinis, du bortsch, du bœuf Strogonoff, du koulibiac de saumon ou encore la pashka ou le koulitch (brioche russe de Pâques). On boit parfois de la vodka et, quand le budget le permet, le repas s’accompagne de caviar. Tout ça sans prétention et sans oublier de porter un toast à babushka.

Mes lecteurs assidus savent que nos repas familiaux se sont enrichis au cours des années de mets espagnols, portugais, italiens, belges, sardes. Les moments festifs en famille sont amusants, variés et propices à la discussion. On épilogue, on chipote, on conteste, on argumente, on approuve ou on s’émerveille sur l’authenticité de ces mets tout en passant d’une bouchée de gambas portugaises au piri piri muito temperado à une tranche de jàmon pata negra, en se délectant de croquetas, de boudin, de tourtière, de pandoro, de pizzelles, de charlotka et de tarte au sucre, pour le bonheur de tous!

Et voilà donc que j’ajoute un mets russe au palmarès de nos plats chéris : le baklajannaïa ikra, traduction en russe de « caviar du pauvre ». Ce mets, qui est fait d’aubergines, on le trouve aussi dans plusieurs autres pays. Chacun a sa propre recette, qui varie en fonction des ingrédients, de l’assaisonnement, de la quantité d’ail… Dans la région du Levant, on trouve la purée d’aubergines sous forme de baba ghanoush ou de sa version plus épicée, le mutabbal. Des trempettes similaires sont connues sous les noms de kashke bademjan en Iran, patlican salatasi en Turquie, zaalouk au Maroc, melitzanosalata en Grèce, caponata en Sicile, salata de vinete en Roumanie et kyopolou en Bulgarie.

Le baklajannaïa ikra de Valentina se mange tartiné sur des croûtons, du pain de campagne ou du pain noir. Il se conserve bien pendant une semaine au réfrigérateur et plusieurs mois au congélateur. N’hésitez donc pas à en préparer une bonne quantité et à le congeler en prévision des mois d’hiver. Vous ne le regretterez pas!

 

Baklajannaïa ikra de Valentina

Ingrédients

1 kg/2,2 lb                               grosses aubergines

375 ml/1 ½ tasse                     oignons, finement hachés (ou 2 gros oignons)

90 ml (6 c. à soupe)               huile d’olive

250 ml/1 tasse                         poivron vert, finement haché (ou 1 poivron)

1 c. à thé                                  ail, finement haché

250 ml/1 tasse                        tomates concassées (ou 2 grosses tomates finement hachées)

3 ml (½ c. à thé)                      sucre

10 ml (2 c. à thé)                     sel

Au goût                                   poivre noir

45 ml (3 c. à soupe)                jus de citron (environ 1 citron)

 

  • Chauffer le four à 425 °F. Cuire les aubergines pendant 1 heure sur une plaque chemisée de papier de cuisson. La peau doit être noircie.
  • Entre-temps, faire revenir les oignons dans un peu d’huile, jusqu’à ce qu’ils soient tendres mais non colorés. Ajouter le poivron et l’ail et remuer jusqu’à ce qu’ils ramollissent, de 5 à 8 minutes. Garder en attente.
  • Débarrasser les aubergines de leur peau puis hacher la pulpe pour obtenir une purée grossière. L’ajouter aux légumes dans la poêle ainsi que les tomates, le sucre, le sel, le poivre et le reste d’huile. En remuant constamment, amener à ébullition, couvrir et cuire à feu doux 30 à 45 minutes. Retirer le couvercle et faire cuire 30 autres minutes en remuant de temps en temps, jusqu’à ce que toute l’humidité se soit évaporée et que le mélange soit bien consistant.
  • Incorporer le jus de citron et vérifier l’assaisonnement. Réfrigérer.
  • Servir sur des croûtons de pain au levain grillé, assaisonnés d’ail et d’une bonne huile d’olive.

 

Notes

-Si vous craignez la saveur amère des aubergines, il est préférable de les acheter en saison. Les jeunes aubergines sont plus douces et, parce que leurs graines sont minuscules et qu’elles en comportent moins, leur amertume est moindre.

– J’ajoute tout le zeste de citron à la recette et, parfois, quelques graines de cumin au moment où je cuis les oignons. J’adore ces deux saveurs!

– J’aime aussi servir le baklajannaïa ikra en garniture pour des hamburgers ou des hot dogs de bœuf ou d’agneau. Délicieux aussi avec du poisson grillé.

 

Bon appétit!