Maison Actualité Par monts et par vaux à plus de 3000 mètres

Par monts et par vaux à plus de 3000 mètres

(Photo : Jean-Luc Brassard)

Gilles Parent

Collaboration spéciale

 

Trois fois plutôt qu’une! La mythique haute route à ski reliant Chamonix dans le massif du Mont-Blanc, en France, à Zermatt dans le Valais, en Suisse, est incontestablement une forme d’apothéose du ski hors des pistes, et en haute altitude.

Devant le Cervin, au-dessus de Zermatt
(Photo : Jean-Luc Brassard)

La dernière fois que je l’ai parcourue remonte à une douzaine d’années seulement. Oui, il y avait eu une première fois en 1978, mais nous avions dû abandonner après trois jours de Tarot au même refuge, tous évacués par hélicoptère sur Arolla parce qu’il y avait trop de neige… Les avalanches se succédaient aux heures. Dans la vallée, les journaux annonçaient en primeur que la chanteuse italienne Dalida avait été bloquée dans le tunnel du Saint-Gothard par une avalanche et que 14 skieurs-alpinistes avaient été évacués du refuge des Dix (nous)… il fallait sortir par une fenêtre pour ouvrir la porte de la cabane; mais ça, c’est une autre histoire! Donc, la dernière fois, la troisième complétée, je l’ai réalisée en compagnie de six autres skieurs, dont Jean-Luc Brassard, qui me demandait de mettre le projet sur pied depuis une décennie… Nous étions sept sur dix, il en manquait trois. Les trois « André » : Laperrière, Marcotte, Stewart, tous trois bloqués à Montréal-Trudeau par un volcan crachant le feu et la poussière depuis l’Islande… Ils nous manqueront durant la « Haute Route » et les apéros! Les élus : Hervé Chappaz, James Jackson, Alain Batteux, Garry Fox, Gérard Perrin, Jean-Luc Brassard et moi! Pas triste l’équipe… (n’a jamais pas soif)

De g. à d. Parent, Jackson, Batteux, et Fox
(Photo : Jean-Luc Brassard)

L’expression « haute route » est maintenant adaptée à de multiples activités du ski de randonnée alpine, de nombreux skieurs s’y adonnent à partir de l’achat coûteux de l’équipement spécialisé, à tort ou à raison. Il y en a qui font de la « haute route » en grimpant le mont Tremblant ou le mont Césaire… C’est la mode. La « haute route » a été nommée par des alpinistes britanniques de l’Alpine Club en 1861 désignée alors « High Level Road ». Point. Mais faire cette traversée à ski par les glaciers, c’était là une autre paire de manches! Ce n’est qu’en 1903 qu’un médecin de Chamonix, le docteur Payot, avec Couttet, Simond, et le guide Ravanel, complète la liaison en étapes de Chamonix à Zermatt par les passages de plusieurs cols au-delà de 3000 mètres, et sans refuges! Parlant de refuges, l’un des plus vieux sur l’itinéraire, la Cabane des Dix, a été construit en 1908 à 2928m; celui d’Argentières en 1933 à 2771 m et aujourd’hui entièrement rénové. Ils sont tous bien particuliers, celui de Berthol est accessible en via ferrata (laisser les skis au pied du mur) ou celui des Vignettes sur une arête où il ne faut pas louper le dérapage pour y arriver… Tous les refuges ont des capacités d’accueil autour d’une centaine de lits, en dortoirs. Quant aux sommets atteignables à ski par beau temps, ils sont fabuleux, avec des altitudes près de 4000 mètres, dont la Tête Blanche à 3724 mètres.

Passe des séracs sur le glacier d’Argentière
(Photo : Jean-Luc Brassard)

En novembre 2009, l’équipe était complète. Le mois suivant, je suis parti dans les Alpes, et installé à l’auberge Nordique, au Grand-Bornand, j’ai eu tout l’hiver pour préparer le projet avec Hervé Chappaz. Chaque jour de beau temps, je m’entraînais à grimper 700 mètres à ski, les jours moins bons, je les passais à skier en télémark à la station… Puis, arriva la Journée de la femme (8 mars 2010), j’effectuais un virage télémark long rayon, et soudainement, une ombre m’est apparue, c’était un frigo sur skis en trace directe… L’impact m’a propulsé en orbite, l’armoire s’est arrêtée en aval de mon atterrissage et s’est présentée; elle s’appelait Gretchen, directement d’Allemagne, et moi, Gilles, avec une fracture du sacrum! Le départ pour la haute route était prévu le 10 avril! Condamné à ne plus skier? Pas question. Discrètement, à l’abri du médecin, en souffrant, j’ai poursuivi mes ascensions. Mais le mal était fait. Ce qui a conduit l’athlétique Jean-Luc Brassard, le plus jeune du groupe, à prendre mon sac, en plus du sien, à deux reprises durant la traversée, sur des pentes extrêmement raides pour ma sécurité. (Les sacs de chacun pèsent autour de 15 kilos, plus la quincaillerie.) Parlant d’âges, le plus jeune était à la mi-trentaine et le plus vieux, moi, j’avais 67 ans, et je demeure toujours le doyen du groupe. Cette dernière haute route demeure pour moi la plus splendide; beau temps chaque jour, quelques passages glacés, bonne neige et surtout, une ambiance de camaraderie inoubliable, chaleureuse et remontante comme le Fendant… Les plus remarquables incidents ont été causés par les choucas voleurs de casse-croûtes, quelques monstrueuses crevasses dévoilées, mais bien visibles, et une chute de séracs juste assez loin de nous. Ce qui a bien changé depuis ma première fois en 1978, c’est la fonte des glaciers, rendant plusieurs passages un cran techniquement plus difficiles… N’enlevant rien à l’attrait exceptionnel de la « Haute Route ».

Montée d’un couloir
(Photo : Jean-Luc Brassard)