Maison Choix de la rédaction Environnement : Contrer l’effet rebond : un chantier à initier

Environnement : Contrer l’effet rebond : un chantier à initier

Yves Nantel
Chroniqueur sur l’environnement et résident de Val-David

 

Nous sommes dans la phase de décarbonation de notre économie avec l’objectif de ne pas dépasser de 1,5 ℃ le réchauffement du climat d’ici 2100 en comptant sur trois leviers : l’atténuation par la transition des énergies fossiles vers les énergies renouvelables, l’efficacité des procédés devant nous permettre de mieux produire, et la sobriété de façon à restreindre l’achat et l’utilisation des produits consommés à nos besoins de nécessité.

Ces trois leviers doivent être utilisés autant par les instances publiques, les entreprises et les consommateurs. Mais attention à l’effet rebond.

L’effet rebond

L’effet rebond se produit constamment sur le plan économique : grâce à des progrès techniques, on rend les produits et services plus efficaces. En les rendant plus efficaces, on dégage des excédents de ressources alors utilisées pour une surconsommation du produit ou du service ou pour acheter d’autres biens. À chaque gain d’efficacité, on fait un bond vers plus de consommation. Plus de consommation de matières premières et d’énergie pour produire, et plus de matières résiduelles à disposer.

Dans le domaine de l’automobile, on a réussi depuis une vingtaine d’années à rendre plus efficaces les méthodes de production (ex. : robotisation). Conséquences : les autos sont plus économes en essence, plus fiables (assistance à la conduite), plus sécuritaires (coussins gonflables), plus résistantes à la corrosion, plus performantes (freins ABS), etc. Puis l’on a ajouté des caméras de recul et de l’assistance pour le stationnement ou encore des systèmes audio et vidéo plus sophistiqués, et j’en passe.

Avons-nous vendu moins de véhicules? Avons-nous vendu moins d’essence? Y a-t-il moins d’accidents? Les routes sont-elles moins achalandées? Non. Il y a plus de véhicules sur les routes, ils sont plus gros et consomment plus d’essence.

Ces évolutions, ces rebonds, sont considérés comme des progrès dans une société qui les évalue à la croissance continuelle de son économie, de son PIB. Mais il en est tout autre à partir du moment où l’on doit, selon l’ONU, « réduire rapidement et radicalement nos gaz à effet de serre ».

L’effet rebond et la réduction des GES

L’effet rebond dans la lutte aux changements climatiques se produit, entre autres, lorsque des actions visant à réduire ou à contenir les émissions de GES sont réalisées mais que, de façon directe ou indirecte, elles induisent des effets pervers qui ont comme conséquence de produire autant ou même davantage de GES.

Les gouvernements se sont mis à subventionner l’achat de véhicules électriques afin de transiter vers les énergies renouvelables. Action louable avec des cibles et des échéances pour faire la transition. Mais attention à l’effet rebond.

À partir du moment où les consommateurs décident d’utiliser les économies réalisées pour se payer des voyages par avion, une croisière dans le Sud ou encore s’acheter un véhicule plus performant (VUS) ou un VTT, d’un côté, on diminue les GES provenant de l’auto à essence mais on les augmente avec l’avion ou le paquebot ou autres substitutions.

On voit ici l’effet rebond : l’intention est bonne, autant celle des gouvernements que celle des consommateurs, mais le raisonnement conduit à une action qui produira autant, sinon plus, de GES.

Du côté du transport aérien civil, selon The Shift Project, chaque kilomètre de vol par passager consomme environ trois fois moins de carburant qu’il y a quarante ans. Les prix ont diminué et le nombre de kilomètres de vol a explosé. Alors que le volume de GES émis par passager-kilomètre diminuait de moitié, le volume total d’émissions a été multiplié par deux. De plus, la consommation de matières premières et d’énergie a crû de façon importante.

Les exemples d’effet rebond se retrouvent dans la majorité des secteurs de consommation.

Pierre Veltz, professeur émérite à l’École des Ponts Paris Tech et auteur de Bifurcations : réinventer la société industrielle par l’écologie?, explique ainsi le phénomène : « De façon générale, l’efficacité rend les biens et les services moins coûteux, plus accessibles, plus désirables, et la demande, dopée par la publicité et par les multiples formes de l’effort pour vendre, croît en proportion, ou même davantage. »

 

Que faire?

D’abord, reconnaître l’effet rebond. On n’a pas le choix, prévoir dès la conception des produits et des services cet effet pervers, et plus globalement soumettre la production, la commercialisation, la consommation aux stratégies de l’économie circulaire.

Dans le cas des transports, étudiés précédemment, agir sur les structures en développant une société qui offre des options profitables et attrayantes pour court-circuiter l’effet rebond. Et agir sur les mentalités, par exemple, par un contrôle de la publicité sur les VUS, en exposant clairement les enjeux en cause.

On a laissé les lois du marché agir et la détérioration de la planète s’amplifier. Il faudrait y opposer le couplage de la sobriété à l’efficacité : produire mieux mais dans une optique de consommer moins avec un indice de bonheur amélioré.