
J’avais tout près de 10 ans quand j’ai emprunté un livre intitulé Premier de cordée, de l’auteur et guide Roger Frison-Roche, à la bibliothèque des enfants de mon quartier, à Montréal. La première édition a paru en 1941, j’avais celle de 1946. Ce roman, exclusivement axé sur l’alpinisme et la vie en montagne, m’avait fasciné. Pourtant, à 10 ans, je n’avais aucune idée de ce qu’était l’escalade, pas plus que je m’y adonnerais plus tard. L’été 52 a passé et le livre est resté à l’oubli dans ma petite armoire. Si bien qu’en septembre, je le retrouvai et constatai l’énorme retard que j’avais à remettre ce roman à la bibliothèque. Muni des cinq sous nécessaires à l’amende, j’ai parcouru les six blocs de la rue Notre-Dame pour humblement remettre le volume et m’excuser. Or, la bibliothèque en question n’y était plus, elle avait brûlé au cours de l’été! Je suis donc revenu à la maison avec le Premier de cordée et les cinq sous. Et j’ai toujours ce précieux ouvrage dans mon bureau.
Quelques années plus tard, à 15 ans, j’ai été hébergé chez une famille à Marseille, en France. Les deux garçons de cette famille étaient membres du Club alpin français et ils m’ont fait découvrir l’escalade de parois rocheuses dans les splendides Calanques, en bordure de la Méditerranée. Le roman oublié prit alors une tout autre importance à mon retour d’Europe. Je n’ai pas tardé à me joindre à une équipe de montagne occasionnelle et poursuivre mon initiation, quand le transport indispensable était disponible.
Les années ont passé et je suis devenu professeur d’éducation cinématographique au secondaire à l’enseignement public. Et puis, je voulais aussi transmettre le plaisir et la passion de l’escalade aux jeunes adolescents, particulièrement issus de milieux difficiles. Avec l’aide de quelques parents et l’appui de l’école, j’ai réussi à amener des petits groupes à Val-David, un berceau de l’escalade, comme nous le savons tous. Il serait difficile, voire impossible de tenir une telle activité aujourd’hui sans être un organisme structuré, reconnu, assuré, etc. Vers la fin des années 1960, c’était non seulement possible, mais d’un bénévolat apprécié par la communauté.

Mes groupes de jeunes étaient constitués d’une dizaine d’adolescents de première secondaire, et j’avais toujours un ou deux adultes bénévoles pour m’assister. C’était les années de la fin des cordes toronnées, le début timide du matériel de sécurité comme les casques, les baudriers et autres. On pouvait bivouaquer à proximité de l’Arabesque, l’une des plus belles parois du mont Césaire, dans un abri qui n’existe plus. Toute cette belle activité formatrice se déroulait avec une tolérance sans borne sur la vaste propriété de l’hôtel La Sapinière de la famille Dufresne. Je n’ai pas souvenir du nombre de groupes de dix qui ont bivouaqué à l’abri du Césaire après une rude mais ô combien gratifiante journée d’escalade pour ces garçons, avec qui je passais la soirée au coin du feu, à raconter des histoires, et notamment des passages de Premier de cordée.
En 1999, alors que j’étais en plein tournage de la série relatant l’histoire mondiale du ski, je me suis arrêté un midi dans un bistrot de Chamonix, et à ma grande surprise, j’ai eu l’immense plaisir d’y rencontrer Roger Frison-Roche, l’auteur de mon roman d’enfance! Il avait alors 93 ans; il est décédé quelques mois plus tard.