
Nelly Allard, Résidente de Sainte-Adèle
Mon dernier séjour à Munoz m’aura laissée pensive. Malgré le fait que mes ti-moun évoluent à une vitesse folle, je n’ai aucune idée de comment les intégrer à ce monde qui parfois les rejette. Mais mon principal ennemi est qu’ils se rejettent eux-mêmes. Il ne faut pas oublier que, de génération en génération, ils ont été battus, volés, violés. L’année 1492 n’est pas si loin dans leur bagage culturel. Chaque jour, je m’efforce de leur apprendre qu’ils ont le droit d’exister.
Comment les rendre fiers et compétitifs? J’entends alors parler d’une école à Puerto Plate. La meilleure école de langue reconnue. Fréquentée à 95 % par des Dominicains de « bonne couleur ». Je le précise car mes enfants sont aussi Dominicains pour la plupart. Il leur manque un « pantone » pour être considérés comme tels. Cela commencera par leur donner accès à un diplôme reconnu dans l’industrie touristique. J’y envoie alors mes premiers 8 ti-moun et ils se qualifient super bien. On partira un samedi tous ensemble vers l’Impact Language Institute. Ils sont tellement beaux et chics! La fierté qu’ils portent est incroyable! Les soupers spaghetti, GoFundMe et le « cognage » aux portes deviennent partie intégrante de ma vie. Je ne suis pas payée ni logée ou nourrie pour mon travail et, parfois, l’argent sort de mes poches parce que je suis incapable de laisser derrière un enfant qui a tout donné pour accéder à ce qui devient un Graal à ses yeux.
Leur évolution sur le plan personnel est incroyable. Des filles qui regardaient par terre quand tu t’adressais à elles font maintenant des blagues et se tiennent bien droites. Mes ti-moun sont jeunes. J’avance à tâtons puisque je n’ai aucune idée de qu’ils obtiendront de ce diplôme. Seront-ils encore rejetés malgré une reconnaissance officielle d’une langue seconde? Une chose est certaine, la motivation est là. Et je me dis : viendra ce jour où mes premiers termineront leurs études et recevront ce diplôme. Des noms de famille haïtiens seront nommés côte à côte avec des Tavarez et des Rodriguez. Puis, mon bonheur est immense de les voir monter sur ce podium et parfois avec mention d’honneur. Et que dire des mamans tellement fières d’eux. Je me souviens d’avoir tellement pleuré, parce que jamais je n’aurais pensé les voir évoluer ainsi. Trop d’obstacles! Mais on l’a fait. Et quand je dis « on », je pense aussi à tous ceux qui ont donné et qui donnent encore pour permettre à d’autres jeunes de fréquenter cette école.
Cette première cohorte de diplômés aura marqué un tournant dans ce projet de BeCause Munoz; tout arrêter ou recommencer avec un nouveau groupe? Je déciderai de continuer avec de nouveaux enfants. Mais allais-je voir des résultats concrets avec mes premiers diplômés?
Lors de la prochaine édition, je laisserai la place à ces enfants devenus adultes. Vous saurez ce qu’ils sont devenus. Ce seront eux qui écriront dans le SKI-SE-DIT! Ils ont déjà hâte de s’y retrouver!