Maison Actualité À Monsieur François Legault, premier ministre du Québec

À Monsieur François Legault, premier ministre du Québec

Lettre ouverte

Confrontés à un manque de financement et à un manque de revenus publicitaires, les médias écrits communautaires imprimés sont-ils appelés à disparaître? Le Gouvernement du Québec s’apprête-t-il à tuer l’information locale?

Le manque de financement dû à la diminution considérable de l’achat publicitaire gouvernemental semble l’indiquer. En 2022-2023, les journaux communautaires n’ont reçu que 78 776 $ en publicité gouvernementale, ce qui représente 0,02 % de la publicité allouée à l’ensemble des médias au Québec. 37 576 $ en 2023-2024, soit 0,04 % de la publicité gouvernementale. Mais où va donc la publicité gouvernementale? Elle se dirige vers tout ce qui n’est pas imprimé : la radio, la télévision et, bien sûr, les médias sociaux.

Le gouvernement semble vouloir faire prendre aux journaux un virage numérique sans cependant leur en fournir les moyens. Il faut savoir que ce n’est pas du tout rentable, du moins pas pour l’instant. Plusieurs de nos journaux n’ont pas de site adéquat, ou pas encore de personnel expérimenté pour effectuer des mises à jour régulières.

Et que dire des tarifs de 310,44 $ la tonne métrique que les journaux de format tabloïd devront payer en 2025 à Éco Entreprises Québec! L’information locale n’est pas une boîte de céréales ou un contenu de jus que l’on met dans le bac bleu. L’information n’est pas de la pollution ! De plus, dans le cadre du Programme d’aide aux médias communautaires pour 2024-2025, la majorité des journaux communautaires ont vu leurs subventions diminuer.

Au cours de la dernière année, cinq journaux communautaires ont mis fin à leur publication. Certains sont en réflexion, à savoir s’ils entreprendront leurs activités uniquement sur le web ou s’ils fermeront tout simplement. D’autres se demandent s’ils seront encore là dans quelques mois. Est-ce qu’il y a encore de la place pour les journaux communautaires au Québec? Il faut que cesse cette hémorragie!

Nous demandons que le Gouvernement du Québec investisse davantage de publicité gouvernementale dans les médias communautaires; que les journaux communautaires soient exemptés de la taxe sur la récupération; que les subventions gouvernementales dans le cadre du programme d’aide aux médias communautaires tiennent compte de la fragile réalité des journaux communautaires.

Sauvons la presse écrite communautaire!

Le président de l’AMECQ, Joël Deschênes

 

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Les journaux communautaires au Québec

Dernier rempart contre l’assimilation culturelle

 

Notre journal communautaire est présent dans la région depuis plus de cinquante ans. Il tient la chronique de ce qui se passe à Val-David, Val-Morin, Sainte-Agathe-des-Monts, Sainte-Lucie-des-Laurentides, Mont-Blanc et Sainte-Adèle. Plus de 40 000 résidents de la région peuvent ainsi chaque mois se procurer gratuitement une version papier de 28 pages tabloïds couleur, ou trouver sur notre site Internet, mis à jour chaque semaine, la totalité des éditions publiées depuis 2008. Comme la plupart des journaux au Canada, malgré le boycottage par Meta de la presse canadienne, nous sommes présents sur les réseaux sociaux de toutes les manières encore possibles.

Nous publions des informations pertinentes sur la vie régionale, par le biais de chroniques rédigées par des ressources en majorité bénévoles. Ces partenaires du journal sont qualifiés par leurs activités professionnelles dans les milieux de la politique, de l’éducation, de la vie artistique, de l’engagement social, du sport et des loisirs, du commerce et de la consommation, des soins de santé, des questions d’environnement, d’immobilier, d’histoire, d’actualité municipale, de linguistique, de gastronomie, incluant des dossiers historiques publiés régulièrement sous forme de fascicules de 70 à 90 pages sur des thèmes plus importants, rédigés par nos collègues historiens.

Depuis 2004 en particulier, le journal Ski-se-Dit a été publié 12 fois par an sans discontinuer, dans une mise en page et avec un contenu rédactionnel qui n’ont rien à envier aux journaux régionaux édités par les grands groupes de presse. Notre financement repose essentiellement sur le soutien des annonceurs locaux et sur l’aide reçue du ministère de la Culture et des Communications, un soutien incontournable et pourtant aujourd’hui réduit un peu plus chaque année. Quelques journaux communautaires, pour des raisons qui nous échappent, sont ici et là soutenus par le gouvernement du Canada, mais ça n’a jamais été notre cas.

Notre journal couvre l’actualité régionale, mais aussi la vie culturelle, et c’est peut-être là son principal mérite. Car de notre point de vue, un peuple francophone vivant dans une Amérique anglophone a besoin de toutes ses fibres culturelles pour survivre, et particulièrement dans le contexte actuel. Malgré les cris d’alarme lancés par le milieu du communautaire, les organismes fédérateurs comme l’AMECQ, les agences de presse, les services de relations publiques et les entreprises culturelles depuis une décennie au Québec, comme d’ailleurs partout dans le monde, il semble que nos gouvernements ne soient pas capables de percevoir le rôle vital d’une presse communautaire.  Et cela, bien qu’elle soit la seule véritable frontière entre les citoyens de ce pays et les oligarchies des médias numériques sous contrôle d’une poignée de milliardaires aux visions nationales populistes soutenant de plus en plus une approche culturelle voisine par ses méthodes violentes et ses objectifs sans scrupules d’un national-socialisme de triste mémoire. L’omniprésence d’Internet dans tous les foyers, et auprès de tous les âges de la population, garantit à ces manipulateurs de l’opinion publique l’équivalent d’une pénétration intraveineuse permanente, capable de réduire à un rêve léthargique fumeux l’esprit d’indépendance des personnes et, à terme, celle des nations. L’histoire témoigne du succès de ces méthodes avec éloquence.

Comme le signale encore une fois l’Association des médias écrits communautaires du Québec dans sa lettre au premier ministre Legault en date du 28 janvier 2025 (ci-dessus), notre propre gouvernement nous ignore quand il s’agit de placer dans les médias de la publicité ou des informations sur ses programmes.

Il suffirait pourtant que chacun des ministères québécois réserve à la presse communautaire un tout petit pourcentage de son budget annuel (plus de 700 millions dans une enveloppe globale de plus de 4 milliards du financement publicitaire privé des médias au Québec) pour rejoindre nos lectrices et lecteurs à coup sûr, et sauver ce qui peut l’être encore de notre culture réduite à une lutte de tranchée, région par région, face à l’envahisseur anglophone.

S’il s’avérait que la presse communautaire régionale doive disparaître, et plus particulièrement la presse imprimée, nous assisterions de manière accélérée à l’assimilation de notre culture par ce que le journaliste et auteur italien Giuliano da Empoli appelle « les ingénieurs du chaos » et dont l’objectif populiste, soutenu par de plus en plus de gouvernements, est l’abolition des États au profit d’une domination mondiale de l’argent. La presse communautaire est peut-être un de ces petits David capables de contribuer à terrasser ces Goliaths de l’empire des fake news, si nos gouvernements soutiennent enfin les gens qui, dans les régions, croient encore que notre culture n’est pas à vendre, et savent utiliser à bon escient leur droit de vote.

Michel-Pierre Sarrazin

Éditeur, journal Ski-se-Dit