
Bruno Marquis
Que faites-vous pour lutter contre le réchauffement climatique? Vous avez acheté un sac de courses réutilisable pour réduire le nombre de sacs de plastique? Vous avez une gourde avec vous pour ne pas avoir à acheter de boissons en bouteilles plastiques? Ou bien encore, vous avez acheté une voiture électrique?
Soyons clairs. Toutes ces bonnes intentions ne servent absolument à rien. Et non seulement elles ne servent à rien, mais au contraire, elles sont néfastes.
Pourquoi? Parce que plus nous sommes persuadés que nous faisons quelque chose contre le réchauffement climatique, plus nous nous rendons incapables de prendre les mesures plus radicales qui s’imposent. La consommation nous sert d’indulgence. Elle nous permet de noyer notre sentiment de culpabilité et de fermer nos yeux sur la véritable crise, et elle peut très facilement se laisser embarquer dans l’écoblanchiment promu par le capital, qui nous trompe sous couvert de préoccupations environnementales.
Ces trois premiers paragraphes ne sont pas de moi. Ils sont de l’excellent ouvrage Moins! La décroissance est une philosophie du Japonais Kohei Saito dont j’ai parlé dans ma chronique de février. Ils illustrent bien l’état des choses, notre aveuglement et notre refus de nous attaquer sérieusement aux problèmes environnementaux qui se font des plus pressants, à commencer par le réchauffement climatique.
La question que l’on devrait se poser à la lumière des débats en cours – parce que nous en sommes essentiellement encore à débattre –, c’est si les objectifs de développement durable définis par l’Organisation des Nations unies (ONU) et promus par nos gouvernements et les multinationales peuvent ou non changer l’environnement de la planète.
Nous savons tous – que nous l’admettions ou non – que ce n’est pas le cas. Que ces objectifs de développement durable, qui s’inscrivent dans la croissance sans fin du capital, soient suivis ou non par les gouvernements et les multinationales, ils ne permettront pas de lutter contre les changements climatiques. Ils servent uniquement d’alibis pour détourner l’attention de la crise qui se déroule sous nos yeux. Les mesures qui s’imposent pour faire face aux changements climatiques – et autres défis environnementaux – sont des mesures radicales qui nécessitent un changement de paradigme. Il nous faut sortir du capitalisme, de la croissance sans fin et sans buts du capital!
Rappel des faits
L’impact de l’activité humaine sur la planète n’a cessé d’augmenter depuis le début de la révolution industrielle, il y a près de deux cents ans. Comme l’ont établi le biologiste Eugene Stoemer et le chimiste Paul Josef Crutzen à la fin du siècle dernier, la Terre est entrée dans une nouvelle ère, l’anthropocène, qui se caractérise par la présence de traces de l’activité économique humaine sur toute la surface du globe.
Bâtiments de toutes sortes, usines, ports, routes, terres agricoles, barrages et tutti quanti recouvrent la surface de la Terre. Ces créations humaines transforment la planète, et la plus grave de ces transformations est assurément l’accroissement rapide et continu de la quantité de dioxyde de carbone, un gaz à effet de serre, dans l’atmosphère.
Comme on le sait, les gaz à effet de serre absorbent la chaleur émise par la surface de la Terre et réchauffent l’atmosphère, et c’est grâce à cet effet de serre que la Terre maintient une température qui permet à l’humain et aux autres organismes de vivre. Sauf que depuis le début de la révolution industrielle, les quantités de charbon, pétrole et autres combustibles fossiles utilisés dans les activités humaines produisent des quantités faramineuses de ce gaz. Sa concentration dans l’atmosphère est ainsi passée en 200 ans de 280 à 400 parties par million (ppm) selon les données de 2016. Cette valeur n’avait pas été atteinte depuis… quatre millions d’années. Et ce chiffre n’a bien sûr cessé d’augmenter depuis.
Il nous faut ainsi reculer de quatre millions d’années, à l’époque du pliocène, pour retrouver dans l’atmosphère une concentration de dioxyde de carbone de 400 ppm correspondant à ce que nous avons mesuré en 2016. Les températures à la surface de la Terre à cette époque étaient bien plus chaudes qu’aujourd’hui, et c’est vers ces températures terrestres que nous nous dirigeons à grands pas.
Le point de non-retour
La crise climatique ne va pas se déclencher soudainement quelque temps vers le milieu du siècle. Il est évident pour toute personne le moindrement informée qu’elle est déjà amorcée. Des événements météorologiques extrêmes, qui ne survenaient qu’une fois tous les cent ans, se produisent de plus en plus souvent: incendies de forêt, inondations, tsunamis, tempêtes violentes, etc. Et le moment où il ne nous sera plus possible de contrer le réchauffement de la planète, le point de non-retour, est à nos portes!
Pour éviter la catastrophe, nous disent depuis plusieurs années les scientifiques du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), nous devons limiter l’augmentation de la température moyenne de la terre à 1,5 degré Celsius par rapport aux températures préindustrielles. Nos émissions de dioxyde de carbone devaient donc être réduites de près de moitié d’ici 2030, puis être réduites à zéro en 2050, sans quoi nous atteindrons prochainement ce fameux point de non-retour. La situation est grave, c’est le moins qu’on puisse dire!
Convergence des luttes
Comme le souligne Kohei Saito en début de chronique, ce n’est pas avec de petits changements à nos habitudes individuelles, qui servent plus à nous donner malgré nous bonne conscience, que nous luttons efficacement pour la diminution du dioxyde de carbone dans l’atmosphère et contre les changements climatiques et autres atteintes à l’environnement. C’est en acceptant de prendre et de promouvoir des changements radicaux et donc un véritable changement de paradigme: nous devons passer d’un monde capitaliste de croissance sans fin – dont ne profite qu’une faible partie de la population mondiale, faisant fi de la justice et de la démocratie – vers un monde de décroissance axé sur les solidarités et la préservation de notre environnement.
Nous devons changer notre façon de voir le monde! Nous ne vivons pas seulement dans un monde qui détruit dangereusement son environnement, ses milieux de vie, nous vivons aussi dans un monde parfaitement inégalitaire, sur lequel nous fermons les yeux. La lutte pour sauver notre environnement et préserver la vie sur terre, la nôtre et celle de nombre d’êtres vivants sur la planète, doit également en être une en vue d’un monde juste, égalitaire et fraternel (pour reprendre la devise de la France).
Nous n’avons pas de recette magique pour passer d’un monde capitaliste à un monde post-capitaliste, d’un monde en perpétuelle croissance de la consommation et de la fortune d’une minorité à la décroissance. Cette recette, ou plutôt cette pratique, nous devons l’inventer et la construire progressivement, en n’oubliant personne, et en gardant toujours à l’esprit l’absolue nécessité de protéger notre environnement et de réduire radicalement nos émissions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Et la meilleure façon d’y parvenir, sur le plan individuel, c’est de commencer à s’intéresser sérieusement aux questions d’environnement et de justice sociale, ici et ailleurs dans le monde.
Fausses solutions et mensonges
Les multinationales du pétrole et défenseurs de la croissance perpétuelle proposent, bien sûr, pour faire taire les clameurs, certaines solutions technologiques. On songe aux éoliennes, aux panneaux solaires, à l’hydrogène vert, aux véhicules électriques, aux villes et maisons intelligentes, au captage et à la séquestration du carbone, des technologies qui occupent une place centrale dans les politiques climatiques fédérales, nationales et municipales. Ces solutions ont parfois certains impacts positifs, mais c’est loin d’être toujours le cas. Comme le rappelait Oxfam-Québec dans un plaidoyer publié en 2021, le déploiement de ces technologies «vertes», en tout ou en partie, n’a cependant aucunement empêché les émissions de gaz à effet de serre d’augmenter de 8,6% en dix ans…
Outre que ces technologies ne s’avèrent pas toujours efficaces pour faire face à l’augmentation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, elles nécessitent des matériaux rares et énormément d’énergie, ce qui contribue indirectement (c’est un euphémisme) à l’augmentation de ce même dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Bref, elles s’insèrent dans une économie en perpétuelle croissance axée sur le profit, croissance qui est à l’origine de tous nos problèmes environnementaux, particulièrement du réchauffement climatique en cours.
Pour conclure
La décroissance aura lieu de toute façon. Si ce n’est en raison des mesures que nous aurons mises en place en ce sens, ce le sera à la suite de l’actuel laissez-faire, entraînant le réchauffement de la planète appréhendé, des phénomènes météorologiques toujours plus destructeurs que nous ne serons plus en mesure de contrôler, de vastes déplacements de populations, des conflits, du désarroi, énormément de souffrance et un profond désespoir.
Mais tout n’est pas encore joué…
Nous devons toutefois réapprendre rapidement à vivre de façon juste, égalitaire et fraternelle, et de manière frugale, en harmonie avec notre environnement. Et définitivement rompre avec le capitalisme! Il en va de notre survie!