
Bruno Marquis
On ne parle plus autant d’égalité de nos jours qu’on le faisait il y a moins d’un siècle. Ce bel idéal s’est lentement vu supplanter, dans la plupart des domaines, par le concept infiniment plus subjectif d’équité. Il n’est d’ailleurs pas rare que l’on présente aujourd’hui le concept d’équité comme un concept beaucoup plus flexible que celui d’égalité – ce premier concept permettant en quelque sorte de parer au caractère supposément rigide du second.
Mais qu’en est-il? Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que l’idéal d’égalité, qui nous vient principalement du siècle des Lumières en France au XVIIIe siècle et qui a été repris sous la plume de Robespierre lors de la Révolution française avec ce qui deviendra la devise de la France, « Liberté, égalité, fraternité », est un concept objectif qui tend vers un idéal concret et donc mesurable. Et que le concept d’équité, fort ancien lui aussi, est un concept beaucoup plus – sinon entièrement – subjectif.
La notion d’égalité ne prête pas à interprétation. Une société égalitaire en est une où l’on vise à ce que Paul et Julie aient un égal accès à l’éducation, au travail, aux loisirs, aux biens et aux richesses. C’est un idéal concret qui se marie bien avec ceux de liberté et de fraternité. La notion d’équité, elle, dépend entièrement de la conception que l’on se fait de la justice, conception qui varie selon les époques, les milieux et – disons-le – les idées reçues et les préjugés. Une société peut fort bien se juger équitable, comme elle l’a souvent fait et le fait encore, en admettant d’énormes écarts de revenus et d’accès à ces mêmes ressources. Il est par exemple parfaitement équitable, de nos jours, que Julie puisse avoir le même accès que Paul à une position dominante dans une société parfaitement inégalitaire.
La droite et l’extrême droite, qui ne voient le monde que comme une jungle ou une montagne d’égoïsmes, assimilent bien sûr cette notion d’égalité à un traitement uniforme pour tous, comme si nous n’étions pas tous des membres actifs de la société; et comme si le fait d’accéder tous à une vie meilleure, dans un véritable esprit de fraternité ou de solidarité, ferait à terme de nous des copies conformes les unes des autres. Bref, quand on est de mauvaise foi…
L’effacement de l’idéal d’égalité, comme l’effacement progressif de l’idéal de liberté et de l’idéal de fraternité (que je préfère encore à celui de solidarité), au profit de concepts vaseux et même réactionnaires, modèle notre façon de penser et de concevoir le monde. Nous devons entre autres, pour changer le monde, changer le choix de nos mots qui régit notre façon d’envisager ce monde.
Nous ne voulons pas une société équitable, nous voulons une société égalitaire, une société fondamentalement juste! Nous ne voulons pas la liberté des entreprises ou la liberté commerciale, nous voulons la liberté des individus, d’ici et de partout dans le monde; pas la liberté des libertariens, cette fausse liberté de l’extrême droite, celle du plus fort d’abuser du plus faible, mais la liberté pour tous, dans le respect des libertés de chacun! Nous ne voulons pas des petites solidarités des mieux-nantis et des privilégiés, nous voulons la fraternité universelle, pour tous, une fraternité tributaire d’une société… égalitaire.