Maison Actualité Environnement – Choisir entre le plastique et nous

Environnement – Choisir entre le plastique et nous

Bruno Marquis

Chroniqueur sur l’environnement

  

Le plastique est l’un des plus redoutables polluants pour la planète et ses habitants. Il est persistant dans l’environnement et dangereux pour la santé humaine et la faune et la flore en général. Nous le retrouvons partout, sous différentes formes : sur terre, dans les cours d’eau et les océans et jusque dans notre organisme. Sa production est aussi une grande génératrice de gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique.

 

Comme on le sait, une sixième et ultime session de négociations internationales pour mettre fin à la pollution plastique, tenue à Genève, a cependant de nouveau échoué le 15 août dernier. Une minorité de pays pétrogaziers, accompagnés d’une armada de lobbyistes, ont encore une fois systématiquement saboté les pourparlers en vue de réduire la production de plastique dans le monde. Or, si rien n’est fait, celle-ci, déjà énorme, devrait tripler d’ici 2060. On en produisait 460 millions de tonnes en 2020 et on en produira probablement plus de 500 millions de tonnes cette année.

Obstruction

Dès l’ouverture des pourparlers, la centaine de nations ouvertement favorables à une telle réduction a dû faire face à l’obstruction d’une coalition de quelques pays producteurs de pétrole, coalition animée bien sûr par l’Arabie saoudite et les États-Unis.

Les points de vue divergeaient. D’une part, devait-on limiter la synthèse des polymères vierges, la substance mère des plastiques? C’est ce que voulaient la majorité des nations dans le monde. D’autre part, devait-on plutôt se contenter de diminuer la pollution avec le recyclage et la gestion des déchets? C’est bien sûr ce que voulaient la coalition des quelques pays producteurs de pétrole et les multinationales du pétrole. Aussi, le traité devrait-il intégrer un article sur les effets sanitaires des 16 000 additifs entrant dans la fabrication du plastique — dont 4200 sont des substances toxiques ou des perturbateurs endocriniens avérés, comme les phtalates, certains colorants et les composés perfluorés, ces polluants éternels?

Pour l’Arabie saoudite, le traité ne devrait concerner que les déchets et non la production du plastique, malgré les conséquences connues de cette production sur la santé. Dans le cas des États-Unis, ce même traité ne devrait en aucun cas porter ombrage aux affaires, ce qui permettrait concrètement à l’industrie de produire du plastique à volonté sans même avoir à se soucier de la gestion des déchets ou de recyclage. Bref, ce fut de nouveau l’impasse, comme l’avaient voulu la coalition des pays pétrogaziers et les nombreux lobbyistes des combustibles fossiles et de la pétrochimie présents sur place.

Dangerosité

Pourtant, il était crucial de parvenir à la signature d’un tel traité international sur la production du plastique!

Nous avons produit plus de 8 milliards de tonnes de plastique fabriqué entièrement à partir d’hydrocarbures issus du pétrole depuis 1950, dont près de la moitié seulement au cours des 15 dernières années. Nous ne connaissons pas encore tous les effets du plastique sur la santé et l’environnement, mais nous commençons tout de même, depuis deux décennies, à en sentir dangereusement les conséquences.

Parce que le plastique, comme nous le savons, se désagrège avec le temps, se fragmentant en microplastiques, soit en particules de moins de cinq millimètres, puis, sous l’effet des rayons ultraviolets, du frottement de certains micro-organismes, en nanoplastiques, soit en particules de moins d’un micromètre, c’est-à-dire moins d’un millième de millimètre. (De 15 à 30% des microplastiques ne sont en fait pas issus de la dégradation, mais sont rejetés directement dans l’environnement sous forme de petites particules, par exemple dans le cas des produits exfoliants et des paillettes.)

Ces nanoplastiques, invisibles à l’œil nu, sont alors faciles à inhaler et à ingérer. Une fois dans notre organisme, ils vont s’y diffuser de manière plus ou moins importante selon leur taille. En général, plus ils sont petits, moins les barrières de notre organisme sont en mesure de les retenir. Les plus petits nanoplastiques réussissent ainsi à pénétrer dans le sang, puis à se diffuser dans l’ensemble de notre organisme. Comme l’expliquent Nathalie Gontard et Hélène Siengier dans leur excellent ouvrage Plastique : le grand emballement, « si ces minuscules corps étrangers étaient plus gros, de l’ordre de plusieurs micromètres, nos barrières corporelles, peau et muqueuses, se chargeraient de les repousser. S’ils étaient plus petits, réduits à la taille d’une molécule, alors les reins, la peau, le foie ou les poumons seraient en mesure de les prendre par la main chimiquement pour les accompagner vers la sortie via l’urine, les selles ou la sueur. Mais entre ces deux tailles, c’est-à-dire à l’échelle nanoscopique, notre corps est incapable de s’en débarrasser».

Une fois libérés dans l’atmosphère, les microplastiques et nanoplastiques se transportent en suivant les masses d’air, les cours d’eau, parfois sur de très grandes distances. Comme l’explique Annie Labrecque dans un texte paru en septembre dans Québec Science, une contamination locale, peut ainsi rapidement devenir régionale, voire planétaire. Chaque jour, de nouvelles études lèvent le voile sur l’ampleur de cette pollution de la planète, explique-t-elle, et «ce qu’on voit n’est que la pointe de l’iceberg». Un exemple saisissant se trouve en plein cœur du Pacifique Nord. Les courants marins y forment un gigantesque vortex de déchets, parfois surnommé le continent de plastique. On estime que 94% des morceaux qui s’y trouvent sont en fait constitués de microplastiques et nanoplastiques dispersés dans l’eau. 

Nous devons considérer l’avenir en gardant à l’esprit trois points importants.

Le premier est que nous devrons un jour envisager que tous les plastiques que nous avons consommés, recyclés ou pas, se seront transformés en quantités phénoménales de nanoplastiques persistants dans l’environnement. Les bouteilles d’eau, les contenants de toutes sortes, les pièces de voiture, de bus, d’avion, les matériaux de construction, les vêtements contenant des matières plastiques et tout le reste s’usent et viendront augmenter, pour les générations à venir, la monstrueuse réserve de futures particules fines persistantes dans l’environnement. Elles nous atteindront par le sol que nous foulons, l’air que nous respirons, les aliments que nous consommons, l’eau que nous buvons. D’où la nécessité d’agir… tout de suite.

Le deuxième porte sur les doses auxquelles nous et nos enfants et petits-enfants serons exposés vu la quantité de plastiques devenus nanoplastiques. Quels seront leurs effets sur notre santé et sur l’environnement? Serons-nous encore capables de réagir? La même question qui se pose pour les gaz à effet de serre, en fait. D’où la nécessité d’agir… tout de suite.

Le troisième, que nous n’avons pas encore abordé, c’est que le plastique ne se déplace pas seul. Avant de pénétrer dans nos organismes, les nanoplastiques peuvent se charger, comme des éponges, d’un tas de polluants potentiellement toxiques. Rappelons que plusieurs plastiques contiennent d’ailleurs eux-mêmes de ces substances toxiques. D’où la nécessité d’agir… tout de suite.

Agir

La première chose à faire, à très court terme, semble bien sûr de parvenir rapidement à un traité international en vue de réduire de façon très significative la production de plastique. C’est aussi la seule option envisagée en ce moment par les détenteurs du pouvoir à l’échelle de la planète. À l’instar des discussions sans fin et sans véritables résultats concernant la réduction des gaz à effet de serre, il y a objectivement peu de chances d’en arriver de la sorte aux changements qui s’imposent. À moins bien sûr de pressions massives de la part des populations…

Les seules solutions viables pour se débarrasser du plastique à base de pétrole, comme pour nous attaquer aux émissions de gaz à effet de serre, doivent être envisagées dans une perspective de décroissance. Nous devons d’abord cesser complètement l’extraction des énergies fossiles, mais nous devons plus encore rompre avec le capitalisme et l’expansion sans fin du capital! C’est vers cette décroissance que doivent porter les efforts des populations. Ce sont d’importants défis qui doivent être relevés sans tarder. Il en va de notre survie à moyen ou long terme!