
Judith Lavoie
Résidente de Val-David et professeure de traduction à l’Université de Montréal
Samedi matin, 11 h. Je rince ma tasse de café, ma fille bondit dans la cuisine.
— Alloooo! Câlins!
— Oui, câlins.
— Ça va?
— Bof, je travaille sur une chronique, mais je trouve le sujet ordinaire. Je piétine.
— Alors parle de Thierry! (Elle veut dire Thierry Larose, l’auteur-compositeur-interprète.) Il chante en français, il a gagné le prix Félix-Leclerc l’année passée, c’est pas rien!
— T’as raison. Bonne idée! Ce serait quoi, tes vers préférés de Thierry?
Spontanément, elle chante :
— « Je t’ai croisé au détour / D’une de ces apocalypses personnelles / N’auront passé que quelques jours / Avant qu’elle ne se poursuive de plus belle. »
— Une apocalypse personnelle, ouf! Wow! C’est dans quelle chanson, déjà?
— « Frisbee et marmelade », sur le dernier album, Sprint.
Elle ajoute :
— Tu devrais aussi lire les paroles de « Portrait d’une Marianne ».
Et elle repart, sans avoir déjeuné.
Je me retrouve devant les mots de Thierry, et ses mélodies, et sa voix. Son univers peuple nos vies depuis que notre fille l’aime. Et pas que le sien. Celui de Lou-Adriane Cassidy, d’Ariane Roy, des Louanges (Loulou pour les intimes), de Gab Bouchard, de Comment debord, et de bien d’autres encore. La musique l’habite en permanence. En voiture, dès qu’elle prend place dans le siège du passager, elle ajuste les boutons de la radio pour se connecter à sa liste de musique et faire jouer les chansons qui lui parlent ce jour-là, à ce moment-là.
Comme elle me l’avait demandé, j’ai lu, en l’écoutant en même temps, la chanson « Portrait d’une Marianne » de Thierry. C’est un texte grandiose, même si j’avoue ne pas tout comprendre. Mon passage préféré demeure le refrain : « Tu peux faire tout ce que tu veux / Et moi je ferai ce que je sais faire de mieux / Tu peux faire tout ce que tu veux / Marianne ».
Les larmes me montent aux yeux lorsque je l’entends prononcer le nom de Marianne. Cette Marianne, c’est ma fille et toutes les filles de sa génération. Elles peuvent faire tout ce qu’elles veulent, le monde est à elles, pour paraphraser le titre du magnifique livre de Martine Delvaux, Le monde est à toi.
Les mots de Thierry se font l’écho des sentiments de toute une jeunesse, comme dans la chanson « Club vidéo » : « Étions-nous faits pour ce que la vraie vie nous propose? / Que faire de notre penchant pour le grandiose? / Quand tout autour nous rappelle à l’ordre et à l’habitude / Viens on va se mettre un film » (sur l’album Cantalou).
Dans « Les amants de Pompéi » (Cantalou), la poésie m’éblouit : « Celui de trop de nous trois / C’est moi ».
J’aurais aimé écrire quelque chose d’aussi beau.