Maison Actualité Janvier 1978 : Aventure en Terre sainte

Janvier 1978 : Aventure en Terre sainte

Les grands gagnants, l’équipe canadienne : Hubert Scheck, chef réputé de Vancouver, et Marcel Kretz, de l’hôtel La Sapinière, à Val-David.

C’était le premier concours de cuisine juive et la première conférence sur l’art culinaire juif. Ils étaient dix-huit en tout. M. Kretz agissait en tant que capitaine de l’équipe. Récit de ce qui s’avéra dès le début comme une aventure.

 

Marcel Kretz

C’était la première compétition de cuisine juive et la première conférence sur l’art culinaire juif. Nous étions dix-huit en tout. J’étais le capitaine de l’équipe. Le président de la Fédération canadienne des chefs de cuisine, Hans Buesckens, était le directeur de ce qui s’avéra dès le début comme une aventure.

L’organisation ne comprenait que quatre volontaires, dont deux pâtissiers de Calgary. Et comme le temps pressait, je commençai à faire les recherches nécessaires et à établir les menus, les recettes et la composition des plats de présentation et des plats obligatoires.

Au fur et à mesure que nos collègues trouvèrent les fonds pour le voyage, ils se joignirent au groupe. Mais déjà, il était tard, j’ai dû continuer le travail seul, pour les recettes à caractère juif, en respectant les lois Kashruth[1].

Du fait que le départ et le rassemblement des marchandises et du matériel se faisaient à Montréal, et plus précisément à partir des Cuisines du Canadian Pacific Airlines (CP Air) à Mirabel, il m’incombait d’organiser et de solliciter la coopération du Rabbin Rubin et de son chef, M. Roth. J’étais à ce moment-là le seul participant du Québec. Un mois avant le départ, le chef du Château Champlain s’est joint au groupe. Et enfin vint le grand jour du départ. Vérification minutieuse de la marchandise, le service de sécurité israélien était partout, inspectant nos boîtes et leur contenu. Mais tous les dons de marchandises qui avaient alors afflué du pays entier, grâce aux autres collègues, étaient heureusement munis de lettres et de certificats rabbiniques, ce qui évitait les fouilles plus poussées. Pour cette compétition, 4000 livres de vivres et de matériel furent transportés à Jérusalem!

Il faut dire que notre expédition était très bien vue de la part des Israéliens présents à Montréal. C’était une sorte de mission, aucun de nous n’était juif, mais pour nous, ce geste cadrait bien avec nos aspirations et notre philosophie. Nous sommes tous frères et davantage autour d’une table. Les cuisiniers qui participent à ce genre de concours sont résolument apolitiques. Et puis, pour les chefs canadiens, c’était un nouveau défi. L’invitation avait été faite lors de leur participation aux Olympiades culinaires de Frankfurt en 1976.

À l’arrivée à Tel-Aviv, l’accueil des collègues israélien fut chaleureux. Le court trajet entre Tel-Aviv et Jérusalem, ponctué d’arrêts et redémarrages brusques, nous faisait espérer survivre à la hardiesse des chauffeurs israéliens. À la blague, ils se vantaient tous d’être le deuxième meilleur chauffeur du pays, le meilleur s’étant tué dans un accident la semaine précédente…

Marcel Kretz, premier à gauche en avant, devant la ville Sainte avec les autres membres de la délégation canadienne. À en juger par les chapeaux, plusieurs venaient de l’Ouest…

Le premier soir, nous étions logés à l’hôtel Intercontinental dans la zone occupée de Jérusalem. Seul hôtel non « kasher » de la ville, il avait été construit sous le roi Hussein de Jordanie, très près du plus célèbre cimetière juif et du plus ancien au monde.

Ce premier soir en Terre sainte fut mémorable. Le chef yougoslave Jaroslaw Mueller nous avait réservé un accueil des plus fraternels. Mais la fatigue du long voyage se faisait sentir et tout le monde se retira tôt. Tard dans la nuit, le vent se leva. Sous le clair de lune, le paysage captivant nous semblait empreint de mysticisme. Gardé éveillé par le vent, je voyais sous ma fenêtre le sable s’enfuir sous les rafales, semblable à de la neige, et les arbrisseaux se tordre comme en douleur… c’était une sensation étrange.

Au lever du jour, le matin de 20 janvier 1978, sous un ciel bleu pâle d’hiver, une douce brise caressait les crêtes, et sous nos yeux incrédules s’étalaient devant nous Jérusalem la magnifique et plus près encore le mont des Oliviers. Au loin, sous un voile de brume légère, le scintillement de la mer Morte. Instant inoubliable. Emporté par mes réflexions et mes pensées inspirées par ces lieux vénérables, je fus bientôt ramené à la réalité et à la raison d’être de notre présence en Israël. C’était comme une douche froide…

Nous fûmes transférés à l’hôtel Hilton de Jérusalem, qui, la veille encore, hébergeait le président égyptien Muhammad Anwar el-Sadat et sa délégation. Ce sera notre lieu de travail et d’hébergement. Alors commence l’inspection de « notre cuisine » avec le chef français Jean-Claude Bergeret et le Rabbin attitré de l’hôtel.

Hôtel Hilton de Jérusalem, 20 janvier 1978. Toujours pas de nouvelles de notre marchandise (1 800 kg de vivres!) bloquée à la douane. Appels téléphoniques répétés, et entre-temps, c’est le sabbat et plus rien ne bouge.

À deux reprises Hans, le directeur de l’équipe, et moi-même descendons à Tel-Aviv et allons de bureau en bureau avec le représentant des Chefs d’Israël, Uri Guttman : on refuse toujours de dédouaner notre cargaison. Puis, est-ce la main du Tout-Puissant ou le hasard, je rencontre Antoine Wagenaar, Alsacien de naissance, Israélien d’adoption depuis 17 ans. Il est directeur des services alimentaires des lignes aériennes à Lodd, l’aéroport de Tel-Aviv. Cette rencontre, jumelée à une menace de retrait de la compétition du contingent canadien, amena la lourde machine gouvernementale à bouger. Mais non sans que le ministre des Finances lui-même se porte garant de la bonne et honnête utilisation de notre marchandise!

Et c’est ainsi qu’après le chargement commençait cette montée vers Jérusalem, montée que je n’oublierai jamais. Ce camion, qui avait déjà dû passer quelques années dans l’armée israélienne, grondait, cahotait, sur une route pourtant bien lisse. Nous étions entassés dans la cabine avec le chauffeur qui ne parlait que l’hébreu. Sur les côtés défilaient des champs labourés, les collines de pins et d’eucalyptus, puis des champs de pierres, de rochers, des ravins. Toute cette terre d’Israël.

De temps en temps dans les fossés, les carcasses de camions et automitrailleuses précieusement conservées en devoir de mémoire. Ce voyage avait quelque chose de mystérieux. Personne ne parlait. Peu à peu la nuit arriva, et lorsqu’apparurent les lumières de Jérusalem, une pluie fine tombait sur la ville, ce qui rendait les vieux murs et maisons encore plus tristes. Nos collègues nous attendaient avec impatience. Mais le camion poursuivit sa route jusqu’à l’hôtel King David, où logeait l’équipe américaine, car en bons voisins, nous avions rapporté aussi leur marchandise, une sorte de libre-échange avant l’heure.

Enfin, le vrai travail de la compétition commença, jour et nuit. Pour finalement être prêt malgré tout, le surlendemain, journée de l’exposition.

En plus des plats de compétition, nous avons servi un buffet pour… 500 invités. Et le soir de la distribution des prix, toute la magie d’Israël s’exprima en danses et chansons inspirées de cette terre même et de ses habitants d’origines multiples.

Le Canada se classa en 1re position.  Malheureusement, très peu de pays avaient accepté l’invitation d’Israël. Il faut croire que nous n’avions pas tous la même perception du défi.

Ce fut un beau voyage, où le travail, la camaraderie et les découvertes furent au rendez-vous. Jérusalem, la ville sainte, est un lieu inoubliable.

Marcel et son épouse, Nicole. Un gâteau symbolique, sûrement délicieux…

 

 

[1] Kashruth, ou Casher. Les lois alimentaires juives, ou lois de la cache-rout, constituent un des piliers fondamentaux de l’identité juive. Ces lois ont des conséquences hygiéniques indéniables, mais leurs motivations sont ailleurs. La table devient un lieu pédagogique où l’homme apprend et vit un certain nombre de valeurs. Parmi elles, le respect de l’animal prend toute sa place. Cf.- Bruno Fitzon, Grand Rabbin de Metz et de la Moselle.