Maison Exclusif Quand z’vais être grande (ou une histoire pas d’livre)

Quand z’vais être grande (ou une histoire pas d’livre)

Quand z’vais être grande

(ou une histoire pas d’livre)

 

Gabrielle Messier

  

Quand il m’arrive de ne plus savoir où vagabonder, que mes pieds traînent la savate, je me confine chez moi. Devenue momentanément aveugle à la beauté du paysage qui s’étend à perte de vue, n’ayant plus ni bon pied ni bon œil, je trouve refuge entre les pages d’un bouquin. Si, après une heure ou deux, je fourmille d’impatience — les petites bêtes sont dans mes jambes —, c’est que la lecture exige des neurones bien oxygénés. Il me faut alors un grand bol d’air.

 

Ce matin, comme j’étais indécise à sortir, ma belle Madeleine, chaussée de ses petites bottes de pluie, s’amène chez moi, flanquée de son « papa d’amour ».

 

— Mamie, viens zouer dehors avec moi!

 

L’invitation me plaît. Je m’empresse d’enfiler un manteau et me lance avec elle à la conquête du vaste monde, celui qui forme un croissant tout autour de ma maison.

 

Du haut de ses deux ans et demi, ma petite-fille me guide vers l’inconnu. Au tournant de la rue, apercevant au loin un abri étroit et tout en hauteur, elle s’écrie :

 

— Regarde, mamie, la tour Eiffel!!!

 

Si l’édicule me semble de taille et de facture plutôt modestes, à ses yeux, il emprunte à la reproduction sépia suspendue dans ma salle à manger des airs de majesté. Paris à cinquante mètres de chez moi, c’est pour le moins inespéré. Allons-y. Mais il ne s’agit pas pour Madou de parcourir cette courte distance en ne lorgnant que du côté de ladite tour. Sur le chemin, des dizaines de découvertes majeures nous attendent. Artefacts jonchant la route, cailloux, cônes de sapin, glands et petits bouts d’objets non identifiables sollicitent notre attention. Madeleine ramasse des tas de bricoles par terre et m’en met plein les poches. Des sons aussi nous interpellent. En cette journée de fonte des neiges, les caniveaux gargouillent, les corneilles croassent et les écureuils se pourchassent sur les fils électriques. On tend l’oreille, on observe, on scrute l’horizon.

 

— Non, ma chérie, pas ce gros morceau de glace fondante dans mon sac à dos!

 

Un plat de plastique, trouvé en bordure du chemin, reprend du service. D’inestimables trésors de pacotille s’y accumulent. La petiote est ravie.

 

À la maison, on lave son précieux butin sous le jet du lavabo et on dépose toutes ses trouvailles sur une serviette pour les faire sécher.

 

— Viens sur le canapé, mamie, me raconter une histoire. Une histoire pas d’livre!

 

Papa et maman se prêtent depuis quelque temps à ce rituel qui l’enchante. Le soir, dès que la lumière est éteinte et la petite enfouie sous l’édredon avec sa girafe Ada, l’un d’eux commence : il était une fois… Madeleine enchaîne en proposant personnages, lieu et scénario à sa guise. Lui faire revivre sa journée en la lui racontant, l’agrémenter de quelques fantaisies, elle adore ça. D’autant plus qu’elle en est l’héroïne!

 

On est encore loin de la tombée du jour, mais je suppose qu’elle se réjouit à l’idée que je réinvente tout de suite son périple autour de ma rue. Somnolente — l’heure de la sieste approche —, Madou tend la main vers ma liseuse électronique posée sur la table basse du salon, ouvre le rabat et, interloquée, me demande :

 

— C’est quoi ça, mamie?

— C’est pour lire des histoires.

 

Elle cherche où sont les pages, tourne le drôle d’objet de tous les côtés et s’étonne :

 

— Des histoires pas d’livre?

Faisant fi des subtilités techniques de mon appareil, j’acquiesce.

— Oui, ma chérie.

— Quand z’vais être grande, z’vais aller à l’école et en écrire pour toi.

— Bonne idée. T’es gentille, choupinette.

 

Comme elle a tôt fait d’abandonner l’ennuyeuse tablette de lecture, je commence :

 

— Il était une fois…

— Madou, mamie et… Zimboumboum à Paris!

 

 

Je raconte les splendeurs de la Ville lumière, qui se situe de toute évidence juste derrière chez moi, ici, à Val-David. Son regard s’anime. Elle pose la tête sur mon épaule et soupire de contentement à l’évocation de la Dame de Fer, des brioches, pains au chocolat et bateaux-mouches sur la Seine.

 

Bientôt, je lui avouerai que moi aussi, j’écris des histoires pas d’livre… pour le zournal!