Maison T'en souviens-tu, Val-David? Mais qui était Joseph Roture, dit Bélisle?

Mais qui était Joseph Roture, dit Bélisle?

Le vieux pont du moulin est devenu le pont piétonnier qui relie l’île et le parc des Amoureux (BAnQ, carte postale non datée, mais probablement produite vers 1910).

Mais qui était Joseph Roture, dit Bélisle?

 

Michel Allard et Paul Carle, historiens

 

Plusieurs de nos concitoyennes et concitoyens de Val-David s’étonnent du fait que notre municipalité portait, lors de sa fondation en 1921 et jusqu’en 1944, le nom de Saint-Jean-Baptiste-de-Bélisle.

 

Saint-Jean-Baptiste rappelle, en plus du personnage biblique, celui de Jean-Baptiste Dufresne (selon certains), l’un des pionniers de Val-David, ou encore de Jean-Baptiste Bazinet, qui occupait la fonction de curé de la paroisse religieuse de Sainte-Agathe-des-Monts lorsqu’une partie du territoire de cette paroisse fut détachée en 1917 pour former la nouvelle paroisse englobant tout le territoire actuel de Val-David.

 

Quant au nom de Bélisle, il désigne la station de chemin de fer ouverte en 1892. À cette époque, Joseph Bélisle était propriétaire depuis 1878 d’un moulin situé sur les bords de la rivière du Nord et bâti en 1859 par Louis Papineau sur le lot 32 du rang XI du canton Morin. Peu à peu, un hameau se forma aux environs de la gare de Belisle’s Mills. Quand vint le temps, on nomma ce hameau Saint-Jean-Baptiste-de-Bélisle.

 

Nous connaissons peu de la vie de Bélisle avant son mariage. Joseph Roture, dit Bélisle, alors âgé d’environ 28 ans, épouse le 6 octobre 1851, en l’église de la paroisse de Saint-Jérôme, Julie Sentennes[1], âgée de 21 ans, originaire de NY Hudson, arrivée au Canada en 1844[2].

 

Source : Grignon, Edmond Dr (1912). Album historique de la Paroisse de Sainte-Agathe-des-Monts, 1849-1912, p. 42.

 

Onze enfants naquirent de leur union : Joseph, Avila, Marie-Louise (connue aussi sous le nom de Phaline), Denyse, Lucia, Trefflé, Octave alias Bébé, Irené et Eugène, ainsi qu’Albina, qui entrera dans la communauté des sœurs de Sainte-Anne sous le nom de Sr Marie-Antonin, et Évangéline, qui rejoindra la communauté des sœurs de la Providence sous le nom de Sr Jean D’Avila.

 

En 1851, donc l’année de son mariage, Joseph Bélisle occupe la moitié du lot 3 situé dans le VIIIe rang du canton d’Abercrombie. Il aurait ensuite acheté le lot 6a du rang VII du canton Morin en 1855[3].

 

Photo de la maison de Joseph Bélisle dans le rang VII du canton Morin en 2020.
Crédit photographique : Royal LePage Humania, Agence immobilière.

En 1862, Bélisle occupe le poste d’inspecteur des chemins dans la paroisse de Sainte-Adèle. Il compte parmi les conseillers de la municipalité de paroisse de Sainte-Adèle[4]. Vers 1860, les colons des rangs VII, VIII et X du canton Morin érigent une chapelle dans le rang X sur un terrain donné par Joseph Bélisle. Les colons espéraient que cette chapelle deviendrait le lieu de culte d’une nouvelle paroisse religieuse. Ce ne fut pas le cas et la chapelle fut démolie.

 

En 1863, le territoire du canton de Beresford et une partie de celui des rangs X et XI, ainsi que les rangs VII et VIII du canton Morin sont détachés de la municipalité de paroisse de Sainte-Adèle pour former celle de Sainte-Agathe. Joseph Bélisle en devient le premier maire. Toutefois, sa carrière est de courte durée. Dès l’année suivante, il doit se retirer, « faute d’instruction[5] ». Lors de la création de la municipalité scolaire du canton de Beresford, le 10 septembre 1863, une école est construite dans le rang X du canton Morin sur une propriété donnée par Joseph Bélisle. Il devient de facto commissaire scolaire. Enfin, en 1871, il est nommé juge de paix.

 

Plusieurs indices incitent à croire que Joseph Bélisle, à l’instar de plusieurs de ses concitoyens, n’était pas très instruit. Il n’a pas signé son certificat de mariage, tout comme les autres témoins, contrairement à Julie Sentennes, qui seule l’a signé. Le recensement de 1861 confirme que Joseph Bélisle ne sait ni lire ni écrire.

 

Le 26 janvier 1871, le Département des terres de la couronne du Québec concède à Joseph Bélisle par billet de location les lots suivants situés dans le rang X du canton Morin : les numéros 29, 30, 31, 32 et 33. En ajoutant à ces lots ses propriétés dans le rang VII du même canton, Bélisle devient le plus important propriétaire foncier du territoire actuel de Val-David.

 

Le 4 mai 1878, Joseph Bélisle, cultivateur, acquiert de Grégoire Labelle et Casimir Papineau pour la somme de 1047 dollars « un lot de terre # 32 du XIe rang du canton Morin de plus ou moins 100 acres de superficie de terrain avec deux chantiers, un moulin à scie et autres bâtisses[6] ». Le nouveau propriétaire perfectionne son moulin à eau et effectue des modifications utiles à l’alimentation de la turbine du moulin. Outre ses activités commerciales, Joseph Bélisle devient une figure importante parmi les notables de Sainte-Agathe.

 

La gare de Belisle’s Mills, vers 1915. On remarque de l’autre côté des voies le bois du moulin prêt pour le chargement. Collection McCord.

 

Le 30 juin 1896, Joseph Bélisle décède. Le Journal Le Nord, dans son numéro du 1er juillet 1896, fait son éloge. Tout en le considérant comme l’un des fondateurs de Sainte-Agathe-des-Monts ayant accumulé, grâce à son travail, une petite fortune, le journaliste souligne ses qualités à titre de père et d’époux. Au surplus on dit de lui qu’« il était très charitable et a rendu bien des services aux pauvres colons qui sont venus se grouper autour de sa ferme et de ses moulins ». En politique, il était un libéral qui « savait modérer son ardeur quand il s’agissait de ne pas perdre, pour sa paroisse ou le nord du comté, certains intérêts concernant les chemins et ponts de colonisation ». Avant d’offrir, au nom du journal, ses condoléances à la famille, le journaliste conclut : « Aussi, conservateurs comme libéraux sont venus verser une larme sur sa tombe[7]. »

[1] Il n’est pas rare à l’époque que l’on trouve différentes graphies pour un nom. Plusieurs colons sont peu ou pas lettrés et écrivent leur nom comme ils l’entendent. De plus, presque tous les documents publics étaient rédigés à la main et prêtaient à confusion.

[2] Institut Drouin, Généalogie Québec.

[3] Proulx, Claude (1998). « De la maison Joseph Bélisle en 1855 à la maison Margaret Webster en 1998 », Ski-se-Dit, octobre 1998, p. 15.

[4] Langevin—Lacroix Edmond, abbé (1927). Histoire de la paroisse de Sainte-Adèle, p. 82.

[5] Grignon, Edmond Dr (1912). Album historique de la Paroisse de Sainte-Agathe-des-Monts, 1849-1912, p. 46 et 51-52.

[6] Registre du domaine de l’État. Comté de Terrebonne, lettres patentes, 191-420 à 191-424.

[7] « Feu Joseph Bélisle », Le Nord, 1er juillet 1896.