Maison Actualité Album souvenir : Une invention révolutionnaire

Album souvenir : Une invention révolutionnaire

L’aéro-ski de Moïse Paquette tire des skieurs sur le lac des Sables (vers 1925). Musée du ski des Laurentides Collection famille Paquette, Sainte-Agathe-des-Monts. Voir Arbique, Louise, Mont-Tremblant, La poursuite d’un rêve, Carte Blanche, 1998, p. 36.

Michel Allard et Paul Carle, historiens

Depuis quelques jours, des skieurs ont sans doute dévalé les pistes des stations de ski Vallée-Bleue ou Belle-Neige; des fondeurs ont sillonné les sentiers de la région; les mordus du télémark ont gravi et descendu les pentes du mont Alta ou du mont Césaire.

Le ski n’a pas toujours été aussi spécialisé. Au début du XXe siècle, les skieurs qui parcouraient les montagnes laurentiennes devaient rejoindre les sommets puis les redescendre par la seule force de leurs bras et de leurs jambes et savoir retomber sur leurs planches après avoir voltigé dans les airs. Pas étonnant que l’on qualifiait le ski de « sport extrême » et que l’on affublait ses adeptes du qualificatif de « casse-cou ».

Ski-joering et aéroski

Trente minutes d’efforts pour trois minutes de plaisir, disait-on. Pour faciliter la montée sans dépenser trop d’énergie, quelques-uns eurent l’idée de recourir, entre autres animaux, à un cheval : ce fut le « ski-joering[1] ». En 1926, Moïse Paquette, ingénieux garagiste de Sainte-Agathe, met au point l’aéro-ski pour tirer des skieurs sur le lac des Sables. Il coupe les ailes d’un avion, fixe des skis à la place des roues, attache à la queue des câbles auxquels peuvent s’agripper les skieurs. Plusieurs n’hésitent pas à payer vingt-cinq sous pour se laisser tirer à 100 kilomètres à l’heure. À leur arrivée, les skieurs, plâtrés de neige, heureux, grisés de vitesse et d’adrénaline, ne demandent qu’à en remettre.

Moïse Paquette
(Collection famille Paquette)

Une invention révolutionnaire : le remonte-pente

Moïse Paquette ne s’arrête pas là. Si on peut utiliser la force motrice pour tirer des skieurs sur un plan horizontal, on peut aussi le faire sur un plan vertical. Paquette met au point un remonte-pente dit « à câble désigné », aussi connu sous le nom de rope-tow ou de ski-tow. Le procédé est simple : le skieur s’agrippe à un câble de chanvre sans fin qui s’enroule au sommet d’une pente à une jante de roue fixée à un poteau. Au pied de la pente, le câble est enroulé autour de la jante des roues arrière d’un véhicule dont le moteur actionne l’ensemble du mécanisme. Grâce à cette invention, il devient possible de remonter rapidement les pentes sans trop se fatiguer. Toutefois, il faut déployer autant sinon plus d’habileté et de cran pour l’utiliser que pour dévaler les pentes. Nos mères de famille n’aimaient pas cet engin qui usait les mitaines et les habits de neige.

Vers 1930, côte Baumgarten
Comité du patrimoine de Sainte-Agathe

Un imbroglio

À la même époque, Alex Foster, un champion de ski de Montréal, met au point sur la Big Hill de Shawbridge une remontée mécanique actionnée par un moteur d’automobile. Une question : qui de Paquette ou de Foster est l’inventeur de la remontée mécanique à câble? Peggy Johannsen Austin, muséologue et fille du célèbre Jackrabbit, répond : « L’histoire nous joue parfois des tours. Ce ne serait pas la première fois qu’une invention est mise au point en même temps par deux personnes résidant en deux endroits[2]. » 

La naissance du ski alpin

C’est à partir de la mise en activité du remonte-pente que l’on distinguera le ski alpin du ski de fond. Dans les années 1930-1940, l’engouement pour l’invention se répand. On en retrouve dans toutes les municipalités des Laurentides depuis Sainte-Thérèse jusqu’à Mont-Laurier. À Val-David, la Sapinière ainsi que les monts Saint-Aubin, Guindon, Windey Top (aujourd’hui Vallée-Bleue) et Barbara en seront équipés[3]. Le ski alpin devient si populaire que dans les années 1950, le ski de fond perd de nombreux adeptes. Il faut attendre la fin des années 1960 pour qu’il les recouvre.

Carte des sites de ski alpin de Val-David
Pierre Dumas, Les sites de ski alpin à Val-David
(Géo-répertoire des sites de ski. En bleu : site en activité)

 

Les suites

En 1934, Fred Pabst installe à Saint-Sauveur un premier remonte-pente permanent. En 1936, Émile Cochant met en opération à Sainte-Marguerite un téléski en J. Trois ans plus tard, on retrouve au mont Tremblant un télésiège (une chaise) actionné par un moteur électrique. Au fil des ans, le remonte-pente devient de plus en plus rapide et facile à emprunter. De nos jours, les chaises à trois ou à quatre places, dont certaines sont débrayables, ainsi que les gondoles, ont succédé au câble et… aux vêtements râpés. Toutefois, les améliorations apportées au remonte-pente ont fait disparaître, entre autres causes, presque tous les petits sites de ski.

 

 

 

 

 

 

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[1] Ce terme vient du norvégien ou du suédois. (Wikipédia)

[2] Traduction de Michel Allard d’une lettre de Peggy Johannsen Austin publiée dans Skiing Heritage, vol. 14, mars 2002, p. 11.

[3] Pierre Dumas, L’histoire du ski à Val-David, Musée du ski des Laurentides, 20 mai 2020, p. 3.