
Album souvenir :
Michel Allard et Paul Carle, historiens, et Hugues Chabot
En 1921, sœur Marie-Antonine (Albina Bélisle), religieuse au sein de la Congrégation des Sœurs de Sainte-Anne et fille de Joseph Bélisle, premier maire de Sainte-Agathe, demande à Ernest Brousseau, premier curé de paroisse Saint-Jean-Baptiste, la permission d’ériger une maison de retraite et de soins pour les sœurs malades de sa congrégation[1]. En 1922, la résidence Saint-Esther est construite à proximité de l’église, en partie sur un terrain cédé par Léonidas Dufresne et en partie sur un autre donné par la Fabrique de la paroisse.
La municipalité de Val-David, alors appelée Saint-Jean-Baptiste-de-Bélisle, ne fut pas la première à accueillir une maison consacrée aux malades ou aux convalescents. Déjà, le mouvement avait été lancé par Miss Elizabeth Wand.
L’arrivée de Miss Wand

Vers 1895, Elizabeth Wand[2], une infirmière de New York, arrive par train à Sainte-Agathe après avoir lu, dans le Harper’s Magazine, un article de sir William Dawson[3] décrivant les Laurentides comme « un merveilleux pays de lacs et de montagnes accessibles aux amants de la nature ». Notons qu’à cette date le territoire actuel de Val-David faisait partie de la municipalité de paroisse de Sainte-Agathe érigée en 1862.
Charmée par ses habitants et enivrée par l’air qui, écrit-elle, « est comme du champagne », elle achète, en 1896, à proximité du noyau villageois de Sainte-Agathe, un terrain d’André Beauchamp. Elle y fait construire, pour accueillir des convalescents, une résidence de forme octogonale détonnant avec le style des habitations environnantes.
En 1899, Miss Wand vend sa résidence à l’ancien maire de Montréal, Richard Wilson-Smith. Aujourd’hui, cette habitation abrite l’auberge La Tour du lac.

Miss Wand entreprend la construction d’une nouvelle maison de pension. Malheureusement, parce qu’elle n’a pas remboursé un emprunt, un créancier la fit saisir pendant qu’elle séjournait à New York. Elle quitta alors Sainte-Agathe après y avoir vécu pendant sept ans.
Quisisana (« Ici la santé » ou « On y guérit »)
À l’âge de 70 ans, elle rédigea, à la demande de ses amis, une brochure d’une quarantaine de pages qui, sous le titre de Quisisana, faisait le récit de son expérience à Sainte-Agathe. Son texte ne réduit pas à une simple narration des péripéties qui ont marqué son séjour. Elle affirme que l’air vivifiant, la nourriture simple, la tranquillité et la beauté du paysage favorisent le repos et la guérison.
La brochure prend aussi la forme d’une analyse plus ou moins sociologique, car Miss Wand décrit le mode de vie des habitants, leurs coutumes, habitudes et activités. Enfin, à l’exemple d’un guide de voyage, elle s’attarde à l’environnement, aux lacs, aux forêts et aux chemins forestiers qui favorisent la marche et les sports d’hiver.
Bémol
À la lecture de l’ouvrage de Miss Wand, nous pourrions croire que Sainte-Agathe est un véritable pays de Cocagne! Toutefois, elle ne souffle mot des difficultés qu’éprouvent les colons à vivre sur une terre de roches tout en n’ayant pas le droit de vendre les arbres qui poussent sur leur lot.
Malgré certains différends survenus avec les colons lors de transactions commerciales, Miss Wand admire l’indépendance des habitants. « Ce pays, écrit-elle, est à eux. Ils l’ont pris à l’état sauvage et l’ont façonné selon leur désir et si ça ne fait pas votre affaire vous n’avez qu’à passer votre chemin. » En somme, son œuvre compte parmi les rares témoignages qui relatent le quotidien des premiers colons de notre région.
En conclusion
Miss Wand affirme que le succès de son établissement a fait en sorte que « la renommée de Sainte-Agathe comme centre de santé s’est étendue tant et si bien qu’un sanatorium s’est ouvert et a contribué à la baisse de sa clientèle ». En effet, le sanatorium du Dr Richer a ouvert ses portes en 1899 et, en 1907-1908, les sanatoriums Laurentien et Sinaï[4]. Plusieurs maisons de repos ainsi que des sanatoriums essaimèrent par la suite sur le territoire laurentien. Soulignons entre autres les Sœurs de la Charité, qui transformèrent en sanatorium une résidence; les Oblats, qui devinrent propriétaires de la résidence de Lorne McGibbon pour y loger leurs malades ; les frères des Écoles chrétiennes et les religieuses de la Congrégation Notre-Dame qui s’établirent à Val-Morin. En outre, de nombreux résidents, dont la demeure est reconnaissable encore aujourd’hui par de larges vérandas, accueillirent des convalescents. Bref, la santé est devenue, à Sainte-Agathe et dans les environs, une véritable industrie dont Miss Wand compte parmi les pionnières.
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[1] https://histoirevaldavid.com/les-soeurs-de-sainte-anne-a-val-david-et-la-residence-sainte-esther/
[2] Miss Wand a rédigé à la demande de ses amis un récit de son séjour dans les Laurentides intitulé Quisisana [On y guérit]. Ce nom rappelle celui d’un luxueux hôtel situé sur l’île de Capri. Inauguré en 1860, il occupe les murs d’un sanatorium (https://fr.lhw.com/hotel/grand-hotel-quisisana-capri-italy). Mme Jacqueline April a publié dans les Cahiers d’histoire de la Société d’histoire des Pays-d’en-Haut, no 45, mars 1990, p. 10 à 25, une traduction partielle de ce texte.
[3] John William Dawson, géologue, est le recteur de l’Université McGill. Il est décédé en 1899 (Wikipédia). Notons que le cégep Dawson a été nommé en son honneur.
[4] Serge Laurin, Sainte-Agathe-des-Monts, Un siècle et demi d’histoire. Presses de l’Université Laval, Québec, 2002, p. 5.