Maison Communauté Album souvenir : Le ski : de l’île de Rodoy à Val-David

Album souvenir : Le ski : de l’île de Rodoy à Val-David

Elizabeth Wand, Quisisana [Ici la santé], Sainte-Agathe-des Monts, p. 4

Michel Allard et Paul Carle, historiens

 

Fridtjof Nansen
Source : L’Univers illustré (1897)

L’idée de fixer aux pieds des planches de bois pour se déplacer sur la neige se perd dans la nuit des temps. « La plus ancienne représentation de skieurs a été retrouvée près de la mer Blanche, dans le nord-ouest de la Russie. Elle remonterait à plus de 6000 ans[1]. » En Norvège, on a déniché une peinture rupestre datant de la préhistoire qui, croit-on, représente un skieur. On l’a baptisée L’homme de l’île de Rodoy. « On peut y voir un homme avec des skis très longs aux pieds. On voit également que le skieur s’aide d’une sorte de bâton recourbé à son extrémité, vraisemblablement l’ancêtre de nos bâtons de ski[2]. » Le ski a d’abord été utilisé comme moyen de locomotion. Ce n’est que vers la fin du XIXe siècle, à la suite des expéditions en ski au Groenland (1888) et au pôle Nord (1893-1896) du muséologue norvégien Fridtjof Nansen, que le ski s’est répandu comme un sport de participation et de compétition à travers le continent européen ainsi qu’en Amérique du Nord.

Canadian Illustrated News, fig. 8, février 1879, p. 87


Le premier skieur au Québec
En février 1879, un ingénieur norvégien dénommé Birch fait la manchette des journaux.  Chaussé de ce que l’on désigne sous l’appellation de raquettes norvégiennes (skis), il entreprend une randonnée Montréal–Québec via Trois-Rivières afin d’améliorer cette sorte de « snowshoes » et de les faire connaître aux Canadiens. On rapporte que les Trifluviens furent étonnés à la vue de ce piéton déambulant sur des planches de 9 pieds de longueur [sic][3]. Un journaliste de l’époque écrit : « Pour ce que nous avons vu sous les pieds de Birch, nous brisons notre plume si cela ressemble à des raquettes… Ce marcheur en patins qui devrait se faire appeler Birch [bouleau]. Figurez-vous deux lames de bois de 9 pieds de long sur 4 pouces de large relevées aux extrémités, rien de plus. Le marcheur est muni d’une longue perche avec laquelle il se pousse comme sur des patins[4]. » La distance de 180 milles entre Montréal et Québec fut parcourue en 45 heures et demie, malgré que Birch fut contraint à plusieurs reprises de s’arrêter pour réparer les lanières de cuivre qui retenaient ses bottes aux planches[5].   

Implantation du ski dans les centres urbains
À la suite de la randonnée de Birch, le ski s’implante lentement dans les centres urbains. À Québec, les skieurs pratiquent leur sport sur les plaines d’Abraham. À Montréal, des étudiants et des professeurs de l’Université McGill dévalent en ligne droite les pentes, voire les rues entourant le campus et entreprennent des randonnées dans le mont Royal. Les membres de la bourgeoisie surtout anglophone de Montréal se mettent à leur tour à la pratique de ce nouveau sport. Les dimanches, des démonstrations de saut attirent des dizaines de curieux sur les pentes du mont Royal. Le ski est alors considéré comme un sport extrême réservé aux casse-cou[6]. 

Le ski dans les Laurentides
En 1876, soit trois ans avant que Birch ait franchi sur des skis la distance entre Montréal et Québec, le curé de Saint-Jérôme, Antoine Labelle, avait obtenu, après plusieurs années d’efforts, qu’une voie ferroviaire soit construite entre Montréal et Saint-Jérôme. Il faut attendre 1888 pour qu’un second tronçon soit mis en chantier. Vers 1890, le train atteint Shawbridge, « the gateway to the Laurentians », située à proximité d’une colline désignée sous l’appellation de « Big Hill[7] ». Dès lors, les skieurs se dirigent vers les montagnes laurentiennes pour pratiquer leur sport favori.

Le ski à Sainte-Agathe[8]
En 1892, le train rejoint Sainte-Agathe-des-Monts[9]. Le premier témoignage de la présence de skieurs à Sainte-Agathe nous vient de Miss Elizabeth Wand, qui fonde, vers 1894-1895, une première auberge pour convalescents devenue aujourd’hui l’Auberge de la Tour du Lac. Elle note que dans les années 1895 :

« les skis ont remplacé les raquettes, les collines furent rapidement assaillies par des jeunes gens, lesquels purent reconnaître à distance les routes des chantiers de coupe et tracer les cartes des bons endroits à visiter[10] ». (Miss Wand, Quisisana, p. 31)

En 1905, quatre skieurs membres du Montreal ski Club parcourent en ski le trajet de Sainte-Agathe à Shawbridge en suivant la voie ferrée. Ils durent obligatoirement traverser le territoire actuel de Val-David. Toutefois, il faut attendre les années 1930 pour que les Gillespie tracent plusieurs pistes de ski de fond sur le territoire de Val-David et que les Dufresne ouvrent une première station de ski alpin à proximité de l’hôtel La Sapinière.

 

NDLR La page Album souvenir alterne un mois sur deux avec les récits de Gilles Parent, qu’on retrouvera le mois prochain.

[1] Michel Allard. Le cœur des Laurentides. Québec, Septentrion, 2017 p. 163

[2] Expédition Fram, https://fr.wikipedia.org/wiki/Expédition_Fram

[3] Daily Evening Mercury, 4 février 1879, p. 3

[4] Le Courrier du Canada, 14 février 1879, p. 3

[5] L’Évènement, 8 février 1879, p. 3

[6] Percy Douglas. My skiing years, Montreal Whitcombe & Gilmour, 1951, p. 11-15

[7] Neil et Catharine McKenty. Skiing Legends and The Laurentian Lodge Club, Montreal Price-Patterson, p. 29

[8] Rappelons-nous qu’à cette époque, ce qui forme le territoire actuel de Val-David faisait partie de la municipalité de paroisse de Sainte-Agathe.

[9] Gilbert Cholette. Le chemin de fer du Nord. Labelle, Société d’histoire de la Chute aux Iroquois, p. 38 et 42

[10] Elizabeth Wand. Quisisana, traductrice et présentation de Mme Jacqueline April, La Société d’histoire des Pays-d’en-Haut, cahier no 45, mars 1990, p. 22