
Michel-Pierre Sarrazin – Éditeur
La pluie est arrivée. Toute cette belle verdure surdimensionnée, cette année, mérite bien ça. Le paysage aride de l’hiver s’est effacé, remplacé par un festin de verts exubérants comme jamais. Nous avons bien mérité ça. Un été, un vrai, avec des averses sporadiques pour abreuver la beauté des paysages, et un soleil tranquille, puissant et fidèle au rendez-vous de nos grands airs purs. Nous espérons tous en profiter, dans le creuset fabuleux de notre village de montagne, que ce soit à vélo, à pied ou en voiture. Nous espérons tous que nos instants de paix, si précieux, demeurent. Que cet état d’esprit qui nous rend la joie et nous aide à supporter la douleur soit marqué par la tranquillité ambiante.

La paix, c’est aussi le silence, ou la chance d’entendre les oiseaux placoter d’un bord et de l’autre, à l’aube, quand les gars qui ont de gros camions se font les plus discrets possibles. Quand les amateurs de moto n’ajoutent pas l’écho pétaradant de leur plaisir à notre agacement d’entendre gronder leurs grosses cylindrées en pleine nuit. Quand le vrombissement des petits moteurs n’envahit pas notre quotidien : bourdonnement continu des scies à chaîne, grondement des tondeuses, rugissement des souffleuses à feuilles, boucan des taille-bordures… sans parler du tintamarre des perceuses, du tapage des cloueuses, du vacarme des broyeurs de branches ou des camions-bennes qui tohu-bohuent en ramassant les ordures.
À ces petits inconvénients s’ajoute ce que les autorités appellent « le bruit environnemental » : circulation routière, travaux publics, voisinage… Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, « le bruit est un enjeu de santé publique important puisqu’il représente une source de nuisance risquant de détériorer la santé et la qualité de vie de la population. Il est aussi un facteur de stress qui peut avoir des conséquences sur la santé physique telles que la perturbation du sommeil et l’augmentation des risques de maladies cardiovasculaires, dont l’hypertension artérielle. De plus, il a des effets de nature psychosociale, notamment des effets cognitifs marqués par des difficultés d’apprentissage en milieu scolaire[1] ». Rien que ça.
Naturellement, si je puis dire, on s’est habitué, depuis un siècle et des poussières, au langage plutôt brutal de nos machines. Sans elles, nous serions beaucoup moins confortables. Peut-être un peu moins stressés, un peu moins sur le gros nerf. Mais il faut rendre à César ce qui est à César : on les aime, nos machines!
Heureusement, nous qui vivons à la campagne, nous ne sommes pas vraiment concernés (sic) par les résultats des enquêtes de l’Institut de la statistique du Québec, qui nous apprennent que les femmes (19 %) sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes (14 %) à être fortement dérangées par le bruit, que 20 % de la population de 15 ans et plus a eu le sommeil perturbé par le bruit environnemental à son domicile et que le groupe d’âge qui présente la plus grande proportion de personnes dont la qualité du sommeil est perturbée par le bruit est celui des 25 à 44 ans (23 %). Et pour conclure : les deux sources de bruit qui dérangent le plus fortement la population québécoise sont le bruit du voisinage extérieur, tel que celui d’une tondeuse, d’un climatiseur ou d’une thermopompe, et le bruit généré par les transports, particulièrement le transport routier.
C’est pourtant là, même à la campagne, que la réalité nous rattrape : dans ce beau grand pays qu’est le Canada, on estime que 54 % des hommes et 49 % des femmes vulnérables au bruit en milieu de travail souffrent d’acouphènes. Quant à leurs enfants, l’Organisation mondiale de la Santé a publié en 2022 une étude exhaustive montrant que près de 50 % des personnes âgées de 12 à 35 ans, soit 1,1 milliard de jeunes, risquent d’être touchées d’une déficience auditive en raison d’une exposition prolongée ou excessive à des sons trop forts, comme l’écoute de la musique au moyen des appareils audio personnels.
Évidemment, on peut toujours se mettre la tête dans le sable pour ne pas entendre parler du bruit et de ses conséquences sur la sérénité des personnes. On peut également faire preuve de civisme en évitant les scies à chaîne le dimanche, les tondeuses après 18 heures et un certain nombre d’autres petits bruits domestiques qui rendent les voisins partenaires forcés de nos activités estivales (comme la musique au coton dehors pour accompagner le barbecue et les soirées d’été bien arrosées où les éclats de rire portent loin alentour).
Ce matin, la pluie fait sa petite musique froufroutante sur le toit et joue sur toute la gamme des bruissements joyeux, en sautillant de feuille en feuille alors que les premiers rayons du soleil chassent les gros nuages joufflus. Une pie lance un appel, une bande de petits moineaux passe en sifflant, un coyote éclate de rire, là-bas, dans cette formidable jungle valdavidoise, où tant de choses se passent sans faire le moindre bruit.
Un papillon monarque réussit même (il y en a tellement cette année) à battre des ailes dans un froissement soyeux, tout près de moi. Ce matin, le village est calme. Et c’est un tel privilège que d’entendre la nature donner son concert de petits bruits ordinaires.
[1] Ministère de la Santé du Québec, Flash surveillance 2024, https://www.msss.gouv.qc.ca