Judith Lavoie
Résidente de Val-David et professeure de traduction à l’Université de Montréal
Je ne connais pratiquement rien au vocabulaire du vêtement. Est-ce un sujet qui vous intéresse?
J’ouvre mon édition de 1992 du Visuel de Jean-Claude Corbeil et Ariane Archambault. J’y trouve, bien sûr, de belles images, mais aussi de jolis mots : fraise (la collerette étoilée); manche chauve-souris (on soulève le bras et une aile apparait); paletot (mon père disait ça pour nommer un manteau long, il avait raison); haut-de-forme (de forme haute aurait été moins chic); melon (mais c’est vert, un melon); canotier (le moustachu dans le bateau de Manet en porte un); pantalon pattes d’éléphant (la mode semble y revenir, tout tourne, non?); pantalon corsaire (pas mal l’antithèse du précédent); boléro (un emprunt à l’espagnol bolero, «danseur»); col roulé (on connaît); col banane (l’anglais dit dog-eared collar, un col oreilles-de-chien, mais pas n’importe quel chien, un basset, un épagneul ou un teckel, oui, mais pas un samoyède ou un shiba); col Claudine (selon Wikipédia, l’appellation française de ce type d’encolure aurait des origines littéraires, en effet, un roman de Colette, intitulé Claudine à l’école, affichait, sur l’une de ses premières de couverture, une jeune fille vêtue d’une blouse à col arrondi); peignoir (pour ma part, je dis «robe de chambre», même si ce n’en est pas une); pyjama (le mot nous vient de l’anglais pajamas, qui l’a lui-même emprunté à l’hindi pājāma, un pantalon ample et léger, du persan pā «jambe» et jāma «vêtement», l’info est tirée du Merriam-Webster en ligne); grenouillère (pour petites «grenouilles» gigoteuses, dont les jambes, celles du vêtement, se terminent en chaussons); barboteuse (autre vêtement pour «grenouilles», mais à manches et à culotte courtes pour mieux barboter dans la mare); léotard (je me mêle souvent avec le nom de l’animal, léopard, mais ça n’a rien à voir, c’est plutôt le trapéziste français Jules Léotard «qui, pour laisser son corps libre de ses mouvements et faire apparaître sa musculature, porta le maillot collant inventé pour ses besoins, nommé depuis le léotard […]», Wikipédia); justaucorps (l’étymologie saute littéralement aux yeux: juste, au, corps); et, pour finir, chandail.
Ce dernier mot semble banal. Le champ où l’ail était cultivé, le champ d’ail (comme on dit un champ de patates ou un champ de fraises), aurait-il donné naissance à chandail, un gilet léger offrant une plus grande liberté de mouvement durant la cueillette? Rien n’est moins sûr. L’origine véritable résiderait-elle plutôt dans une simple apocope (opération consistant à retrancher une ou plusieurs lettres à la fin d’un mot)? Au départ, on aurait écrit chandaile (prononcé chandelle), mais, pour éviter la confusion avec l’objet de cire, on aurait choisi de supprimer la dernière lettre du mot, modifiant, du même coup, sa prononciation…?
Euh… Je vous prie de me pardonner. Les théories qui précèdent ont été fabriquées de toutes pièces. Voici la vérité vraie: «À la fin du XIXe siècle, les marchands d’ail s’annonçaient en tronquant la première syllabe de leur appellation: “chand d’ail!”. Par métonymie, le cri en est venu à s’appliquer au tricot qu’ils portaient» (Antidote).
Je vous le jure : chandail a bel et bien été formé par aphérèse (le contraire de l’apocope, on supprime les lettres du début). Demandez à Pierre (Larousse) ou à Paul (Robert), ils vous le diront.