
La rivière du Nord de toutes les couleurs
Jocelyne Aird-Bélanger
Résidente de Val-David
Dans son nouveau local au bout du chemin de l’Île, l’Atelier de l’île était aux premières loges pour assister au spectacle étonnant d’une eau pourpre bondissant dans de petits rapides, se jetant sous le pont de l’île, heurtant la berge juste au pied des grandes fenêtres de l’atelier! Comment expliquer cette métamorphose, ce changement de couleur miraculeux?

Une importante compagnie de tapis, Bigelow Carpets, s’était installée à Sainte-Agathe-des-Monts en 1969. On y produira des tapis jusqu’en 1982. Reprise par les fabricants de tapis Les Artisans, qui comptaient plus d’une centaine d’employés, l’entreprise fermera définitivement ses portes en 1985. Ces industries envoyaient tout naturellement leurs rejets de teinture directement dans la rivière du Nord, qui se colorait alors de rouge, de bourgogne ou de bleu vert sur de longs kilomètres, loin au-delà de Val-David. Spectacle souvent répété et toujours aussi surprenant que saugrenu qui se terminera avec l’arrêt de la production de tapis et la construction d’une usine d’épuration à Sainte-Agathe. Vive l’écologie en technicolor!
Après avoir hébergé son premier atelier directement dans sa maison sur l’île Saint-Louis pendant quelques années à partir de 1975, et voyant le groupe d’artistes qui le fréquentaient de plus en plus considérable, Michel Thomas Tremblay décida de construire un nouvel atelier plus grand et plus adapté pour son projet collectif. L’Atelier de l’île put s’installer dans son tout nouveau local lumineux en 1978. Les lettres patentes signées cette année-là confirmèrent l’existence légale de cette association d’artistes voués aux arts d’impression à Val-David.

Quelques années plus tard, c’est Gilbert Bécaud, chanteur français renommé, qu’on entendit se pratiquer à tue-tête au parc des Amoureux pour tester son matériel au bord de la rivière. S’en allait-il présenter son spectacle à la baie James, où il tourna un film en 1982? Faisait-il un séjour à La Sapinière? Impossible à savoir. Mais sa voix reconnaissable et toujours si vibrante a bien résonné jusqu’à l’atelier, au grand plaisir des artistes étonnés qui y travaillaient. L’eau de la rivière ne coulait pas seulement entre ses berges rocailleuses, elle débordait aussi parfois jusqu’à inonder quelques sous-sols au printemps. Cela se produisit même une fois dans la section de lithographie, l’annexe qui avait été ajoutée au local initial de l’atelier. Au moins cette fois l’eau était-elle claire…
Ce deuxième atelier, équipé pour l’eau-forte, le bois gravé, la photogravure, le papier fait main et la lithographie, était déjà un lieu unique de création artistique dans les Laurentides. Grâce à son fondateur et aux artistes qui l’animaient, l’Atelier de l’île permit à des carrières de naître et de se développer. Des cours y furent organisés, des artistes importants y firent des résidences et l’art imprimé s’enracina véritablement grâce à lui dans notre région. C’est dans cet atelier plein d’énergie que fut réalisé et imprimé L’ÎLE, le premier livre d’artistes de ce collectif. C’est là aussi que graveurs, poètes, sculpteurs et musiciens mirent au point l’imposante performance multidisciplinaire d’impression avec un rouleau compresseur L’ÎLE en L’ÎLE, présentée au Musée d’art contemporain de Montréal en 1983. Le lendemain de cet évènement marquant, des artistes de l’Atelier partaient exposer à la Maison du Québec à New York. Dynamique et créatif, victime de son succès, très fréquenté toute l’année, parfois sept jours sur sept, l’atelier dut un jour quitter son île et s’éloigner de la rivière, mais il garda son nom, ses archives et ses souvenirs colorés et chantants…