
L’Atelier de l’île déploie ses ailes
Jocelyne Aird-Bélanger
Résidente de Val-David
Bien installé dans son grand local lumineux, au cœur de la nature, l’Atelier recommence à accueillir des artistes nombreux qui viennent y travailler et profiter d’équipements neufs ou plus anciens. De 1988 à 1995, l’Atelier s’embarque dans un long périple D’ÉCHANGES où il recevra d’abord des artistes inuits, puis des Mexicains et finalement des artistes des Premières Nations du Québec et de l’Ouest canadien. Quelques artistes de l’Atelier iront à leur tour à Cape Dorset (aujourd’hui Kinngait) ou encore à Vancouver et aux îles de la Reine-Charlotte (aujourd’hui Haïda Gwaïi).
L’Atelier est un OBNL administré par un CA élu par ses membres. Il était appuyé à cette époque par le Conseil des arts du Canada et le ministère des Affaires culturelles, qui proposaient alors toute une gamme de programmes favorisant ces échanges entre cultures et modes de vie avec des artistes des Premières Nations et les Inuits. En complétant cet itinéraire, qui a impliqué 29 artistes, l’Atelier a toujours gardé le cap sur son objectif principal, qui est de favoriser les échanges entre artistes de toutes origines et de toutes pratiques afin d’enrichir leurs vies et leurs créations réciproques. Il ne s’agit pas d’un cercle fermé, mais d’une spirale s’ouvrant sur l’avenir en tant que créateurs en Amérique du Nord, ce continent immense et diversifié où l’imagination est devenue une nécessité de survie.
Artistes mexicains

TOTEM DE PIEDRA réunit les grandes estampes de onze artistes visuels du Québec et du Mexique à partir des poèmes composés par le poète mexicain Benito Luis Diaz, qui est venu en résidence à l’Atelier à l’automne 1989 en compagnie de l’artiste Roberto Ferreyra. Vivement impressionné par la magnificence de l’automne québécois, le poète composa une suite épique de poèmes inspirés de la nature et de mythes anciens de sa culture. Présentés sous forme d’un livre d’artistes de grand format, les images et les poèmes écrits en espagnol, traduits en français et en anglais, furent exposés à la Galerie Simon Blais, à Montréal, ailleurs au Québec et dans quatre lieux au Mexique: au Museo National de la Estampa à Mexico, au Museo José Guadalupe Posada d’Aguascalientes, au Museo de Arte Contemporaneo de Morelia et au Museo El Chopo.
Artistes des Premières Nations

Les échanges avec les Premières Nations ont débuté avec la venue à l’Atelier d’artistes de la coopérative de Cape Dorset au Nunavut en 1991. Parmi les premiers se trouvait l’artiste de réputation internationale Kenojuak Ashevak, accompagnée de l’imprimeur sur pierre Pee Mikiga et de Jim Manning, graveur et directeur de la Coop. Kenojuak s’est installée tout simplement au bout d’une table avec un crayon, une plume feutre et a créé pendant plusieurs jours une composition en noir et blanc où s’additionnaient en parfaite symétrie des oiseaux, des loups, des sirènes et quelques personnages. Pee Mikiga creusait par la suite la pierre à savon pour faire ressortir le dessin original, puis il l’imprimait suivant les indications de Manning. Ce dernier servait aussi de traducteur, car il était le seul à parler anglais, les deux autres ne s’exprimant qu’en inuktitut. Les échanges se faisaient par signes ou tout naturellement en observant ces artistes venus du Grand Nord. Les membres de l’Atelier qui montèrent là-haut furent frappés par la grandeur silencieuse habitée par nos visiteurs et les conditions parfois difficiles causées par les perturbations imposées à leur mode de vie traditionnel. L’art est un langage souvent silencieux mais puissant… En 1992-93, Aoudla Pudlat, un autre artiste de Cape Dorset, répondit à l’invitation de l’Atelier de l’île. Lors d’une visite dans les environs de Val-David, il reconnut très bien Sainte-Agathe, où, comme certains de ses compatriotes, il avait dû passer plusieurs mois au Sanatorium à cause de la tuberculose. Il vint en même temps que William Ritchie, un artiste de Terre-Neuve qui fut longtemps chef d’atelier à Cape Dorset.
Les échanges avec des artistes canadiens de descendance autochtone se sont poursuivis en 1993. Glena Matoush, une Ojibwé qui habitait et travaillait à Montréal, et Jane Ash Poitras, artiste chipewyan d’Edmonton, en Alberta, ont fait un séjour à l’Atelier pour explorer diverses techniques d’impression. Elles furent suivies par Éric Robertson, jeune sculpteur métis de Colombie-Britannique, et Joy Asham Redorick, écrivaine et conteuse d’origine crie. Finalement, Virginia Pésémapeo Bordeleau, une artiste d’Abitibi dont le père était d’origine algonquine et la mère crie, descendit travailler quelque temps à l’Atelier de Val-David. Cette artiste, peintre, graveure et autrice, est aujourd’hui reconnue partout pour ses œuvres vibrantes et ses romans captivants qui témoignent de son expérience culturelle autochtone.
Artistes en résidence
De nombreux autres artistes vinrent en résidence à l’Atelier au cours des années avant ou après ces échanges, tels Francine Simonin, Carl Heywood, Danielle April, Libby Hague, Armand Vaillancourt, Louis-Pierre Bougie et bien d’autres. En marge d’une exposition sur l’art contemporain en Hongrie au Musée d’art contemporain de Montréal, l’artiste hongrois Sandor Pinczehlyi réalisa six éditions en sérigraphie à l’Atelier, sorte de commentaire social sur la situation de l’art actuel dans son pays. En retour, 19 artistes de l’Atelier furent invités à participer à une exposition à la Pécsi Galeria à Pécs, en Hongrie, en 1995.
En conclusion, voici ce qu’écrivait John Grande au sujet de l’Atelier de l’île dans un article publié dans le magazine VIE DES ARTS en 1994 :

En se concentrant sur le langage de l’échange interculturel, l’Atelier de l’île s’est placé parmi les meilleurs ateliers contemporains de l’estampe au Québec. Le succès de ces récents échanges et de ces stages de perfectionnement démontre à quel point est vital le rôle des collectifs d’artistes dans le vaste contexte de l’infrastructure culturelle du Québec, comme le confirme l’appui du ministère de la Culture […]
En regardant de l’autre côté du miroir de notre propre identité culturelle, nous commençons à découvrir que le processus artistique fait partie d’un contexte plus large de cultures diverses. Sa raison d’être se fonde sur une compréhension non pas exclusive mais mutuelle.