Maison Actualité T’en souviens-tu, Val-David? La première route blanche laurentienne

T’en souviens-tu, Val-David? La première route blanche laurentienne

Francine Hudon et Bernard de Pierre au refuge Les Trois Pins, bâti par ce dernier avec Jean-Luc Morin

Suzanne Arbique

Eh oui, chez nous, dans les Laurentides, entre Val-David et Mont-Tremblant, dans les années 90, grâce à Bernard de Pierre, nous avons eu une première route blanche. On appelait ce périple un raid nordique. Ça durait 6 jours : 6 journées à se déplacer en ski de randonnée d’un refuge ou auberge ou hôtel à l’autre, peu importent les conditions de neige et la météo. Des journées d’environ 25 km en moyenne avec des lacs à traverser et des montagnes boisées à monter et à descendre dans des sentiers non tracés. Joie et bonheur pour les adeptes du ski nordique.

Arrivée des clients au refuge

L’histoire commence dans les années 80. Francine Hudon et Bernard de Pierre ont acheté le Chalet Beaumont à Val-David et ils en ont fait une auberge de jeunesse. Dans les années 90, ils font affaire avec l’agence française Grand Nord / Grand Large. La section Grand Nord se spécialisait dans des séjours et activités dans les régions polaires, arctiques et antarctiques. Au Québec, deux auberges recevaient cette clientèle européenne: le Chalet Beaumont à Val-David et une autre en Gaspésie dont je n’ai pas le nom. Sise à Cap-aux-Os, celle-ci se spécialisait dans les sorties en kayak de mer et en randonnées dans le parc Forillon.

Donc, cette clientèle venait explorer et découvrir le Québec hivernal à partir du Chalet Beaumont. Elle avait deux choix: une semaine de randonnée nordique dans les Chic-Chocs ou une semaine de route blanche à partir de Val-David. Bernard de Pierre fut véritablement un pionnier dans les Laurentides, en ce sens qu’ayant grandi en Suisse, à Chaux-de-Fonds, il connaissait évidemment ce concept de voyager à ski hors-piste d’une auberge ou d’un refuge à l’autre, mais ici, dans les Laurentides, ça n’existait pas. Ça n’existe pas? Alors, créons-le!

Bernard a dessiné une route à travers la forêt, parfois sur des terres de la Couronne, parfois sur des terres privées, avec l’approbation des propriétaires, bien évidemment (une section appartenait aux Mohawks), et au besoin, il défrichait, traçait et balisait. Parfois, son nouveau sentier en rejoignait un autre préexistant, puis le travail reprenait un peu plus loin. Ainsi est née la première route blanche laurentienne reliant Val-David au mont Tremblant secteur sud en 6 jours. Nous sommes dans les années 90.

Les groupes étaient généralement constitués d’une douzaine d’Européens, guidés par Gilles Parent; Bernard transportait les bagages et la nourriture en van ou en motoneige selon l’accessibilité des lieux pour les nuitées. À noter que c’étaient des skieurs aguerris; en effet, cette traversée était cotée 3 bâtons de ski en Europe, soit la plus difficile et donc techniquement très exigeante. Et où dormaient-ils, ces clients? L’auberge L’Interval (qui s’appelait alors l’Auberge des jeunes travailleurs) et l’hôtel Caribou étaient mis à contribution. Il manque donc deux endroits où arrêter pour se chauffer, manger et dormir. Eh bien, construisons ou améliorons ces refuges! Le refuge Les Trois Pins sera bâti par Bernard et Jean-Luc Morin et le refuge du lac Raquette sera grandement amélioré.

Le périple route blanche, qui s’appelait alors raid ou randonnée nordique, s’effectuait comme suit:

Départ du Chalet Beaumont

Jour 1, départ du Chalet Beaumont, on skie sur la piste L’Érablière, puis sur un bout de la Gillespie, on monte et on descend le mont Lecompte. Nuitée au refuge Les Trois Pins, tout près du lac Sarrazin, à Sainte-Lucie-des-Laurentides. Une première journée d’environ 18 km en terrain boisé avec quelques bonnes collines.

Jour 2, traversée du lac Sarrazin suivie d’un 8 km montagneux sur les terres autochtones, ski à travers de belles érablières et nuit à l’auberge L’Interval, située au bord du lac Legault. Nous sommes encore dans la municipalité de Sainte-Lucie. Une randonnée d’environ 25 km dont les 3 derniers s’effectuaient sur un sentier tracé appartenant à l’auberge. Petit répit bien apprécié!

Intérieur du refuge Les Trois Pins

Jour 3, le groupe prend la direction du lac Archambault, puis le sentier de la montagne Noire, qui débute par une longue montée d’environ 480 m de dénivelé. C’est un trajet exigeant dans un massif sauvage, mais récompensé au sommet par une vue magnifique. Tout ce qui monte doit redescendre, c’est bien connu, alors vient une longue descente bien appréciée d’environ 6 km sur le versant nord en passant par le lac en croix, ainsi surnommé à cause de sa forme, et on arrive enfin pour deux nuitées au refuge du lac Raquette. Bernard avait acheté ce refuge à M. Walker et il l’avait amélioré en l’agrandissant et en lui ajoutant un poêle à bois, des lits superposés et une cuisine bien équipée. Une autre journée d’environ 25 km.

Jour 4, deux choix: soit une journée tranquille pour récupérer, soit une randonnée à ski dans les environs. Il ne faut pas oublier que ces sentiers ne sont pas tracés, alors c’est exigeant. Si la neige est belle et la météo favorable, c’est bien agréable, mais si belle neige et bonne météo ne sont pas au rendez-vous, ouf! On avance en mode courage! Donc, pour ceux qui veulent skier, une boucle d’une quinzaine de kilomètres pour aller au sommet de la montagne Blanche, qui, à 960 m d’altitude, domine le lac, est offerte. Une deuxième nuit dans ce refuge.

Jour 5, longue étape d’environ 27 km. Traversée du lac Raquette en direction du lac de L’Appel. Ensuite, une montée d’environ 8 km en terrain montagneux sur un autre sentier créé par Bernard de Pierre. Enfin, en route vers l’hôtel Caribou, à Lac-Supérieur. Le groupe passe devant le refuge Le Nordet, puis c’est la longue descente de 7 km vers l’hôtel pour y passer la nuit. C’est le grand luxe: de l’eau chaude dans chaque chambre, une salle à manger et un bar au rez-de-chaussée. Joie!

Clients au refuge

Jour 6, dernière journée: départ du lac Supérieur pour atteindre le lac à l’Ours. On monte la crête d’où on a une magnifique vue sur le mont Tremblant, puis on skie jusqu’au mont Tremblant secteur nord, on continue pour rejoindre le secteur sud sur la piste qui relie ces deux secteurs et on se rend à la brasserie La Diable. Gilles Parent, le guide si apprécié, appelle Bernard, qui vient récupérer skieurs et bagages et ramène tout le monde au Chalet Beaumont. C’est la fête avec une énorme raclette et du vin blanc de Chaux-de-Fonds.

Le lendemain, les clients font leurs bagages et leurs adieux et Bernard, ou Gilles Parent, leur précieux guide, ramène tout ce beau monde à Mirabel pour prendre l’avion du retour.

C’est l’histoire de la première route blanche laurentienne, créée dans les années 90 par un Suisse amoureux du Québec, Bernard de Pierre, pour faire découvrir la beauté de ce Québec hivernal entre Val-David et Mont-Tremblant et faire connaître tout le plaisir qu’il offre à ceux qui se donnent la peine de l’explorer.

J’aimerais ajouter un bref plaidoyer en faveur de la conservation de nos forêts. Si elles sont toutes «développées», où seront le plaisir et le bonheur de les fréquenter? Par quoi le remplacerons-nous, ce bonheur?

 

Un immense remerciement à Francine Hudon et Bernard de Pierre, qui m’ont raconté cette magnifique aventure, à Carmen Denis, qui m’a incitée à la raconter, et surtout à Gilles Parent, qui m’a patiemment et précisément expliqué comment s’effectuait ce raid nordique qu’il guidait dans les années 90.

Départ du Chalet Beaumont